Femmes et Pouvoir Politique : Haïti face au défi de la représentation féminine

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Haïti, première République noire libre du monde, a su briser les chaînes de l'esclavage en 1804, mais peine encore à briser celles de l'inégalité entre les sexes sur l’échiquier politique. Malgré des avancées symboliques, les femmes restent largement sous-représentées dans les instances de décision. Parlement, gouvernement, ministères, élections : à chaque étape, elles doivent franchir des obstacles qui semblent érigés pour perpétuer un statu quo patriarcal. Alors, l’égalité en politique est-elle une réalité ou un mirage ?


“Alea iacta est.” (Le sort en est jeté.), cette célèbre phrase de Jules César pourrait s'appliquer à la condition des femmes en politique haïtienne : dès leur entrée dans l’arène, elles savent que la partie est biaisée en faveur des hommes. Loin d’un affrontement sur un pied d’égalité, elles doivent se battre pour leur simple reconnaissance, contre des discriminations institutionnalisées et une culture qui les cantonne encore trop souvent à des rôles subalternes.


Une législature sans voix féminine ?

Le Parlement haïtien est l’un des espaces les plus masculins du pays. En 2015, sur 119 députés élus, seules quatre étaient des femmes. Au Sénat, le tableau est encore plus accablant : une seule femme sur 30 sièges. Autrement dit, moins de 5% de représentation féminine dans le pouvoir législatif. Ces chiffres placent Haïti parmi les pays les plus inégalitaires des Amériques en matière de représentation parlementaire.


Et pourtant, l’article 17.1 de la Constitution haïtienne stipule que les partis politiques doivent inclure au moins 30% de femmes sur leurs listes électorales. Une belle promesse sur le papier, mais une coquille vide dans la réalité : la plupart des partis contournent cette règle ou se contentent d’inscrire des candidates sans réel soutien logistique ou financier.


Élections : un champ de bataille inégal

Se présenter à une élection en Haïti est déjà un défi colossal. Pour les femmes, c’est un véritable parcours du combattant. Elles font face à trois obstacles majeurs :

  1. Le financement : Les campagnes électorales coûtent cher, et les donateurs privilégient massivement les hommes, considérés comme des candidats « sérieux ».
  2. La violence politique : Intimidations, attaques verbales et physiques, campagnes de diffamation… De nombreuses femmes abandonnent en cours de route, faute de protection.
  3. Les préjugés : Une femme en politique est perçue comme une anomalie. Nombre d’électeurs eux-mêmes doutent de leur capacité à diriger.

L’exemple de Myriam Fétière, candidate aux législatives de 2015, est édifiant : après avoir été agressée physiquement en pleine campagne, elle a dû se retirer par mesure de sécurité. En 2020, Ketleen Florestal, candidate aux CASEC (Conseils d’Administration des Sections Communales), a dénoncé les menaces qu’elle a reçues tout au long du processus électoral.



Ministres et gouvernements : des figures, mais pas de fond

Si certaines femmes ont accédé à des postes ministériels, leur présence reste marginale et souvent cantonnée à des ministères jugés « féminins » : Condition féminine, Santé, Affaires sociales. En revanche, lorsqu’il s’agit de postes stratégiques comme les Finances, la Justice ou l’Intérieur, elles sont quasiment absentes.


Quelques exceptions notables :

  • Michèle Duvivier Pierre-Louis, Première ministre en 2008, l'une des rares femmes à avoir dirigé un gouvernement.
  • Marie Carmelle Jean-Marie, plusieurs fois ministre des Finances, reconnue pour sa rigueur et son indépendance.
  • Josette Darguste, ministre de la Culture sous Michel Martelly, qui a marqué les esprits par ses initiatives en faveur du patrimoine national.

Mais ces figures sont des éclairs dans une nuit profonde. Comme le dit le proverbe latin, “Exceptiones probant regulam.” (Les exceptions confirment la règle.)


Un combat encore à mener

La faible représentation des femmes en politique n'est pas qu'une question de chiffres. Elle influence directement les politiques publiques et la gouvernance du pays. Comment espérer des lois véritablement inclusives si la moitié de la population est exclue des prises de décisions ?


La parité ne sera pas atteinte par de simples quotas ou par des discours de façade. Il faut un changement structurel, qui passe par :

  • Un financement public obligatoire des campagnes féminines, pour garantir l’égalité des chances.
  • Un encadrement légal contre la violence politique, avec des sanctions effectives.
  • Des programmes de formation pour les futures générations de femmes politiques, afin de briser le cercle vicieux de l’exclusion.


“Fiat justitia, ruat caelum.” (Que la justice soit faite, même si le ciel doit s’effondrer.) L'égalité politique ne doit pas être un luxe, mais une exigence fondamentale. Haïti, qui a su renverser l’ordre esclavagiste en 1804, doit aujourd’hui renverser un autre ordre injuste : celui de l’exclusion des femmes du pouvoir. Car sans elles, la démocratie haïtienne ne sera jamais qu’une démocratie amputée.


✍️ Par Schadrac JOSEPH :

✓ Président du Comité des Étudiants de l'INAGHEI 2024-2025 

✓ Directeur Publication « Les Cahiers de l'INAGHEI »

✓ Politologue en Formation à INAGHEI (Université d'État d'Haïti, UEH) ;

✓ Téléphone : +509 4836-3313.

✓ E-mail : josephschadrac16@gmail.com.



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