Cet article analyse les contradictions structurelles de l’Organisation des Nations Unies (ONU), tiraillée entre ses principes fondateurs, notamment la souveraineté étatique et la paix internationale, et ses pratiques dominées par les intérêts des grandes puissances. Le Conseil de sécurité, avec ses cinq membres permanents et leur droit de veto, symbolise cette asymétrie institutionnelle. À travers les exemples de l’Irak, de la Libye et d’Haïti, l’article met en lumière les conséquences de cette domination sur les États vulnérables, notamment l’érosion de leur souveraineté et l’instabilité prolongée. Enfin, il explore des pistes pour dépasser l’irréformabilité de l’ONU et repenser le multilatéralisme dans un monde marqué par des rivalités géopolitiques croissantes.
Introduction
Fondée en 1945 dans l’optique d’instaurer un nouvel ordre mondial basé sur la paix et la souveraineté, l’Organisation des Nations Unies (ONU) s’est positionnée comme le socle du multilatéralisme global. Toutefois, son fonctionnement actuel soulève une question cruciale : l’ONU protège-t-elle encore la souveraineté des États ou est-elle devenue un outil des grandes puissances pour asseoir leur domination ?
Tandis que l’égalité souveraine des États est proclamée dans l’Article 2.1 de la Charte, elle est souvent mise en péril par les mesures coercitives autorisées par le Chapitre VII. Cette tension trouve son paroxysme au sein du Conseil de sécurité, dominé par cinq membres permanents (P5) disposant du droit de veto, reflet d’une asymétrie structurelle persistante. Comme le souligne Bernard Goury (2015, p. 19), « l’ONU est aujourd’hui le théâtre d’une double hégémonie : celle des riches sur les pauvres, et celle des États-Unis sur le reste du monde ».
Cet article analyse les dysfonctionnements de l’ONU à travers trois exemples : l’Irak, la Libye et Haïti. Il explore également les limites structurelles de l’organisation, en s’interrogeant sur sa capacité à évoluer ou à être remplacée par des mécanismes plus équitables.
1. L’ONU et la souveraineté des États : une relation paradoxale
L’égalité souveraine, proclamée dans l’Article 2.1 de la Charte, est théoriquement inaliénable. Pourtant, le Chapitre VII, qui autorise des interventions coercitives en cas de menace contre la paix, illustre une tension fondamentale : la souveraineté n’est pas protégée de manière uniforme. Stephen Krasner (1999, p. 103) qualifie cette situation de « souveraineté conditionnelle », où les intérêts des grandes puissances redéfinissent les limites de l’autonomie étatique.
Le principe de souveraineté est manipulé pour justifier des interventions motivées par des intérêts géopolitiques, qui est une « hypocrisie organisée » (1999, 104). Noam Chomsky (2003, chap. 2) critique également cette asymétrie, affirmant que l’ONU est devenue un outil des grandes puissances, notamment via le Conseil de sécurité, où les décisions sont souvent bloquées ou biaisées par le droit de veto.
L’analyse des cas de l’Irak, de la Libye et d’Haïti permet d’illustrer ces contradictions.
2. Cas pratiques : Irak, Libye et Haïti
2.1. L’Irak : sanctions et perte de souveraineté
Les sanctions imposées à l’Irak, bien qu’officiellement justifiées par des objectifs de désarmement, ont eu des effets dévastateurs, transformant l’État en une économie sous tutelle internationale. Hans von Sponeck (2006, p. 10-14) critique ces sanctions comme un « outil de punition collective », où l’ONU, au lieu de renforcer la paix, a contribué à l’effondrement des infrastructures nationales et à l’aggravation des souffrances humaines.
2.2. La Libye : l’intervention et ses dérives
En 2011, l’intervention autorisée par la résolution 1973, sous le principe de la responsabilité de protéger (R2P), visait à protéger les civils libyens. Cependant, l’élargissement des opérations militaires a abouti à un changement de régime, plongeant le pays dans une instabilité durable. Gleider Hernández (2019, p. 361-364) critique cette intervention comme un abus de mandat, soulignant que la Libye post-Kadhafi reste fragmentée par des conflits internes.
2.3. Haïti : une souveraineté confisquée
L’intervention de la MINUSTAH, bien qu’initiée pour stabiliser Haïti, a renforcé une dépendance institutionnelle et économique, tout en marginalisant les revendications populaires. Alex Dupuy (2007, p. 193) souligne que cette mission reflète une « souveraineté confisquée », un phénomène qui persiste à travers les interventions internationales actuelles. La récente mission en 2024 (MMSS) semble suivre un schéma similaire, posant la question d’un réel changement de paradigme pour Haïti.
3. Une organisation irréformable ?
Bernard Goury (2015, p. 19) conclut que l’ONU est irréformable, car elle repose sur une structure de pouvoir figée, où les membres permanents refusent de renoncer à leurs droits acquis. Cette rigidité institutionnelle, combinée à l’absence de consensus mondial sur les priorités globales, perpétue l’inefficacité du système. En l’état, toute tentative de réforme risque de rester symbolique, laissant l’ONU face à un risque croissant d’obsolescence, comme la Société des Nations avant elle.
4. Conclusion et pistes de solution
Pour dépasser les limites structurelles de l’ONU, une refondation complète du multilatéralisme est nécessaire. Cela pourrait inclure :
1. La création d’organisations régionales autonomes pour gérer les crises locales.
2. Le renforcement des institutions nationales afin de garantir l’autodétermination des États vulnérables.
3. L’établissement de règles internationales contraignantes pour limiter les abus d’ingérence.
Ces approches, qu’il s’agisse de renforcer les organisations régionales ou d’encadrer juridiquement les ingérences, nécessitent une mobilisation conjointe des États du Sud global et des acteurs de la société civile. Une transition vers un multilatéralisme véritablement inclusif reste possible, à condition de dépasser les logiques hégémoniques actuelles.
Bibliographie
- Chomsky, N. (2003). Hegemony or Survival: America's Quest for Global Dominance. New York: Metropolitan Books. Chap. 2.
- Dupuy, A. (2007). The Prophet and Power: Jean-Bertrand Aristide, the International Community, and Haiti. Lanham, MD: Rowman & Littlefield. pp 193.
- Goury, B. (2015). « Conseil de sécurité et droit de veto », Après-demain, 3(35), pp. 17-19.
- Hernández, G. (2019). International Law. 2nd ed. Oxford: Oxford University Press. pp 361-364.
- Krasner, S. D. (1999). Sovereignty: Organized Hypocrisy. Princeton, NJ: Princeton University Press. pp 103-104
- Sponeck, H. C. von (2006). A Different Kind of War: The UN Sanctions Regime in Iraq. New York: Berghahn Books. pp 10-12.