Cet article analyse les récentes déclarations de Donald Trump concernant trois axes géopolitiques majeurs : la reconquête du canal de Panama, l’intégration du Canada comme 51e État et l’achat du Groenland. Ces initiatives traduisent une stratégie visant à renforcer l’hégémonie américaine sur les territoires stratégiques et les voies maritimes, en réponse aux rivalités globales croissantes.
En mobilisant les théories d’Alfred Thayer Mahan sur la domination maritime et la doctrine de Monroe, Trump réactualise des stratégies impérialistes classiques. La reconquête du canal de Panama est perçue comme une réponse à l’influence croissante de la Chine, tandis que l’intégration du Canada et l’achat du Groenland reflètent une volonté d’étendre les frontières économiques et stratégiques des États-Unis. Ces ambitions s'inscrivent dans une tradition historique où la puissance territoriale et maritime est vue comme une clé de la domination mondiale.
Cependant, ces propositions suscitent des critiques, notamment sur les risques de polarisation mondiale et les tensions croissantes avec des puissances comme la Chine et la Russie. En s’appuyant sur les réflexions de Furcy-Châtelain sur l’« équilibre américain », l’article explore les implications de ces ambitions pour la souveraineté nationale des États concernés et pour la stabilité des relations internationales.
En conclusion, l’article souligne que ces stratégies, bien qu’inspirées par des doctrines historiques, reflètent les défis contemporains d’une puissance américaine confrontée à un monde multipolaire et en constante mutation.
Mots clés : Donald Trump, Doctrine de Monroe, Canal de Panama, Canada 51ᵉ État, achat du Groenland, Pan-américanisme, Hégémonie américaine, Relations interaméricaines, Géopolitique.
Introduction
Les récentes déclarations de Donald Trump, notamment sur la reconquête du canal de Panama, l’intégration potentielle du Canada comme 51e État et l’achat du Groenland, témoignent d’une volonté de réaffirmer l’hégémonie américaine dans un contexte géopolitique contemporain. Ces initiatives s’inscrivent dans une logique inspirée par la doctrine de Monroe et les théories stratégiques de figures comme Alfred Thayer Mahan, soulignant l’importance des territoires et des routes maritimes.
Ce travail examine ces ambitions en les replaçant dans une perspective historique et en interrogeant leurs implications dans un monde multipolaire marqué par la compétition croissante entre grandes puissances.
La doctrine de Monroe et l’impérialisme américain sous Trump
La doctrine de Monroe, formulée en 1823, a posé les bases de l’impérialisme américain en Amérique latine, établissant une ligne de démarcation selon laquelle toute intervention européenne dans les affaires des Amériques serait considérée comme une menace à la sécurité nationale des États-Unis. Depuis, cette doctrine a évolué, particulièrement sous les administrations successives, pour justifier l’expansion territoriale et l’interférence dans les affaires intérieures de pays voisins.
Sous la présidence de Donald Trump, nous avons observé une revalorisation de cette doctrine. Les récentes déclarations sur la possibilité d’annexer le Canada, associées à son discours sur le contrôle stratégique du canal de Panama, s'inscrivent dans cette continuité. Trump évoque la reconquête du canal de Panama, symbolisant un retour à la notion de contrôle des routes maritimes, essentielle à l'ascension des grandes puissances. Cette idée n’est pas sans rappeler la pensée d'Alfred Thayer Mahan (1890) et Walter Raleigh (1596), qui soutenait que « qui tient la mer tient le monde », suggérant que la domination des voies maritimes est essentielle pour maintenir la puissance mondiale.
La revalorisation de ces éléments dans la politique étrangère de Trump montre une vision stratégique où les États-Unis ne se contentent plus de protéger leurs intérêts, mais cherchent à redéfinir les frontières de leur influence régionale. Cette démarche réactive un impérialisme sous une forme moderne, cherchant à maintenir l’hégémonie américaine sur le continent tout en imposant une vision de la souveraineté basée sur l’influence et le contrôle économique et militaire.
2. Mahan et Raleigh : Stratégie maritime et impérialisme
Alfred Thayer Mahan, dans son ouvrage The Influence of Sea Power upon History (1890, p. 25-30), met en lumière le rôle stratégique des mers pour une puissance mondiale. Selon Mahan, les nations qui dominent les océans détiennent une clé cruciale pour maintenir une supériorité économique et militaire à l'échelle globale. Trump semble s’inscrire dans cette vision en réaffirmant l'importance de contrôler des infrastructures stratégiques comme le canal de Panama. En évoquant cette reconquête, il fait écho à la volonté de Mahan de maîtriser les routes maritimes pour assurer la suprématie économique.
De même, Walter Raleigh, figure du XVIe siècle, a également compris l’importance de la mer dans l’ascension des puissances impériales. Son projet d’établissement de colonies anglaises sur les côtes américaines repose sur cette même conviction : une nation qui contrôle les mers peut imposer sa domination. Il a mentionné que : « Celui qui commande la mer commande le commerce ; celui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-même » (The Discorvery of Guiana, 1596). Dans ce contexte, les déclarations de Trump trouvent une résonance particulière dans une histoire longue de stratégies maritimes visant à assurer la sécurité et la prospérité d’un État.
En ce sens, Trump n’innove pas nécessairement dans sa vision géopolitique. Ce qu'il propose s’inscrit dans une longue tradition d’interventionnisme américain, nourrie par une conception du monde selon laquelle les États-Unis doivent assurer la prééminence des routes commerciales et maritimes. Cette vision stratégique rejoint celle des « théories de l’équilibre américain », un concept développé par Furcy-Châtelain, qui voit dans le contrôle de l’espace maritime une clé de la stabilité et de la domination régionale.
3. L’expansion américaine et l’équilibre régional
« Le Canada comme 51ᵉ État : Une ambition enracinée dans l’histoire ». Châtelain consacre un chapitre aux ambitions américaines sur le Canada (p. 171), qu’il décrit comme une cible privilégiée en raison de sa proximité géographique et de ses richesses naturelles. Trump, dans un discours en décembre 2024, a proposé une intégration formelle du Canada (Journal de Montréal, 2024). Disait Trump : « Nous partageons une histoire et des valeurs communes avec le Canada. Une union officielle renforcerait notre puissance continentale » (France 24, 2024).
Cette proposition reflète les stratégies historiques décrites par Châtelain, où l’assimilation territoriale est justifiée par des raisons économiques et culturelles (p. 171-173). Cependant, l’auteur met en garde contre les dangers de cette politique pour la souveraineté des nations.
La proposition de Trump d’envisager le Canada comme un futur 51e État s’inscrit dans cette logique d’expansion américaine où la géopolitique n’est plus seulement une question de contrôle, mais aussi de réajustement des frontières géopolitiques en fonction des intérêts stratégiques. Cette idée fait écho aux pratiques expansionnistes passées des États-Unis, notamment l'annexion du Texas et l'achat de l'Alaska. Cependant, cette proposition dépasse le simple intérêt économique ou militaire ; elle s'inscrit dans un contexte plus large de compétition avec des puissances émergentes comme la Chine et la Russie, qui cherchent à exercer une influence croissante en Amérique latine et dans les Caraïbes. En réaffirmant son autorité sur ces territoires, Trump cherche à maintenir un équilibre régional favorable aux États-Unis, une dynamique que Furcy-Châtelain appelle « l’équilibre américain » (1897).
Le contrôle des routes maritimes, symbolisé par la reconquête du canal de Panama, et l’extension territoriale vers le Canada sont des manifestations modernes de cette politique d’équilibre. Elles révèlent non seulement une stratégie de contrôle géopolitique, mais aussi un discours qui se nourrit d’une nostalgie impérialiste, tout en étant façonné par la mondialisation et les nouvelles réalités économiques.
Trump, Panama et la centralité géopolitique du canal
Dans un discours prononcé en décembre 2024, Trump a déclaré que « le Panama ne devrait jamais avoir eu le contrôle de ce canal stratégique, crucial pour les États-Unis et leurs alliés », ajoutant qu’il était temps pour l’Amérique de « reprendre ce qui lui revient » (Reuters, 2024). Trump dépeint le canal comme un levier stratégique que les États-Unis ont utilisé pour asseoir leur hégémonie régionale sous le prétexte de coopération internationale. Il justifie son propos par la crainte d’une influence croissante de la Chine, principale utilisatrice du canal aujourd'hui. Ce discours rappelle la logique exposée par Châtelain selon laquelle les États-Unis ont historiquement employé des menaces étrangères pour justifier leur mainmise économique et militaire dans la région (1897, p. 118-126).
Donald Trump : « Acheter le Groenland » ou réanimer les rêves impérialistes du XIXe siècle
En 2019, Donald Trump avait exprimé son désir d'acquérir le Groenland, suscitant des réactions internationales. En décembre 2024, il a réitéré cette ambition, déclarant que la possession du Groenland est une « nécessité absolue » pour la sécurité nationale des États-Unis. (https://en.wikipedia, 2024).
Cette déclaration a provoqué une réponse ferme du Danemark, qui a annoncé un investissement de 1,5 milliard de dollars pour renforcer la défense du Groenland, incluant l'envoi d'équipes de patrouille en traîneau à chiens, de nouveaux bateaux de patrouille et des drones longue portée. (https://nypost.com/2024)
L'intérêt renouvelé de Trump pour le Groenland s'inscrit dans une logique géopolitique héritée du XIXe siècle, rappelant la doctrine Monroe et les ambitions expansionnistes des États-Unis. Des auteurs comme Alfred Thayer Mahan, dans The Influence of Sea Power Upon History, ont souligné l'importance stratégique des territoires maritimes pour le contrôle des flux commerciaux mondiaux (1890, p. 27-28).
Le Groenland, riche en ressources naturelles et situé au cœur de l'Arctique, représente un enjeu stratégique majeur dans la compétition pour les routes maritimes et les ressources énergétiques, exacerbée par le changement climatique. Cependant, la réponse danoise souligne que la souveraineté territoriale ne peut être réduite à une simple transaction commerciale, engageant des enjeux identitaires et politiques profonds.
L'insistance de Trump sur cette acquisition, malgré les refus répétés, illustre les tensions entre les ambitions impérialistes contemporaines et le respect de la souveraineté des nations, rappelant que l'impérialisme, même sous des formes modernisées, demeure un défi pour l'ordre international actuel.
Donald Trump : Un second mandat entre ambition impérialiste et polarisation mondiale
Le retour de Donald Trump au pouvoir marque le début d'une ère où les dynamiques internationales pourraient être profondément bouleversées. Sa vision politique, axée sur une diplomatie transactionnelle et une affirmation agressive de la puissance américaine, laisse présager des tensions accrues dans plusieurs régions stratégiques.
En politique intérieure, Trump pourrait renforcer son influence auprès de ses partisans, alimentant une polarisation sociale déjà exacerbée. Ce contexte risque de fragiliser davantage les institutions américaines, offrant aux puissances rivales, telles que la Chine et la Russie, une opportunité d’exploiter l’instabilité interne des États-Unis.
Sur la scène internationale, ses ambitions expansionnistes, illustrées par ses déclarations sur l’achat du Groenland et le contrôle renforcé des ressources naturelles stratégiques, pourraient redéfinir les équilibres géopolitiques dans l’Arctique et au-delà. Si Trump concrétise ses idées, telles que l’affaiblissement des alliances traditionnelles comme l’OTAN, les États-Unis risquent de céder davantage d’influence sur des fronts clés, créant un vide géopolitique propice aux ambitions de ses concurrents.
Cependant, la politique étrangère de Trump ne se limite pas à l’Arctique. Sa rhétorique protectionniste et isolationniste pourrait conduire à des conflits commerciaux plus agressifs, notamment avec l’Union européenne et la Chine, risquant de fragmenter davantage le système économique mondial. Son approche vis-à-vis de l’Amérique latine, combinant ingérence et indifférence stratégique, pourrait exacerber les tensions régionales et stimuler les mouvements anti-américains.
Enfin, la gestion des crises globales, telles que le changement climatique, semble peu prioritaire dans son agenda. Cela pourrait aggraver les conflits liés aux migrations climatiques et à l’accès aux ressources, renforçant l’instabilité mondiale.
En somme, le mandat de Trump pourrait être marqué par un basculement vers un monde plus fracturé, dominé par des compétitions géopolitiques intenses et une remise en question accrue de l’ordre multilatéral. Les États-Unis eux-mêmes risquent d’être à la croisée des chemins, entre une domination renouvelée ou un isolement stratégique.
4. Conséquences géopolitiques et critiques contemporaines
Les actions de Trump soulèvent des questions essentielles sur l’avenir de la souveraineté nationale et l’influence des grandes puissances dans un monde multipolaire. La réaffirmation de la doctrine de Monroe et la redéfinition des frontières de l’influence américaine ne sont pas sans conséquences sur les relations internationales, notamment avec la Chine et la Russie, qui ont des intérêts stratégiques dans la région.
De plus, ces propositions ont un écho dans les critiques contemporaines de l’impérialisme américain. Des analystes comme Noam Chomsky (2003, chap. 2) ont dénoncé cette forme d’impérialisme économique, où les États-Unis, sous couvert de protectionnisme et de souveraineté nationale, cherchent à imposer des modèles économiques et politiques à leurs voisins. Les relations avec le Canada, tout comme les politiques vis-à-vis de l’Amérique latine et le Groenland, sont ainsi vues par certains comme un moyen pour Trump de renforcer le leadership américain dans un monde qui s’éloigne progressivement de l’unipolarité.
En somme, les récentes déclarations de Donald Trump sur le Canada, le Groenland et le canal de Panama rappellent la persistance d’une stratégie impérialiste américaine, inscrite dans la tradition de la doctrine de Monroe et renforcée par les idées de Mahan et Raleigh sur la domination des mers. À travers ces propositions, Trump cherche à remodeler les frontières géopolitiques du continent américain en vue de renforcer l'hégémonie américaine.
Source
- Châtelain, F. (1897). Le Pan-américanisme et l'équilibre américain. Paris: Librairie Hachette. pp. 171-173.
- Chomsky, N. (2003). Hegemony or Survival: America’s Quest for Global Dominance. New York: Henry Holt and Company. Chap. 2.
- Mahan, Alfred Thayer (1890). The Influence of Sea Power Upon History, 1660-1783. Little, Brown and Company.
- Raleigh, Walter (1829). The Discovery of Guiana. London: Hakluyt Society.
- Reuters. (2024). Trump previews combative foreign policy with threats to Panama.
- Journal de Montréal. (2024). Trump évoque de nouveau l'idée de faire du Canada le 51ᵉ État américain.
- France 24. (2024). Le Canada va-t-il devenir le 51ᵉ État américain, comme le propose Trump ?
- Truth Social. (2024). Déclarations de Donald Trump sur le Canada.
- New York Post, 2024. Denmark ramps up security — and calls in the sled dogs — in Greenland after Trump threatens takeover. Disponible sur : https://nypost.com/2024/12/24/us-news/denmark-will-deploy-2-sled-dog-teams-to-help-secure-greenland-after-trump-threatens-takeover/ [Consulté le 27 décembre 2024].
- Wikipedia, 2024. Proposals for the United States to purchase Greenland. Disponible sur : https://en.wikipedia.org/wiki/Proposals_for_the_United_States_to_purchase_Greenland [Consulté le 27 décembre 2024].