Depuis son indépendance en 1804, Haïti fait face à des défis récurrents dans sa gouvernance et sa souveraineté. Si l’ingérence des puissances étrangères est souvent pointée du doigt, il est crucial d’examiner la part de responsabilité de nos propres dirigeants dans la situation actuelle. Entre mépris des avertissements de nos penseurs et dépendance accrue envers l’aide internationale, les dérives politiques et économiques persistent, ternissant l’héritage laissé par nos ancêtres. Cet article explore ces enjeux, tout en appelant à une prise de conscience collective pour refonder notre avenir sur des bases solides et autonomes.
Le mode de fonctionnement des dirigeants haïtiens ne cesse de ternir l’héritage laissé par nos ancêtres. Les efforts qu’ils ont déployés pour libérer notre nation représentaient des travaux inachevés, des bases solides sur lesquelles les générations futures devaient bâtir. Cependant, nous refusons collectivement de remplir notre part du contrat.
Dès les premières années suivant l’indépendance d’Haïti, nous avons constaté des dérives récurrentes dans la gestion de l’État. Le 17 octobre 1806, l’empereur Jacques Ier fut assassiné dans un guet-apens, marquant un tournant décisif dans notre histoire. Cet événement peut être vu comme le point de départ d’un discours accusateur dirigé contre les puissances occidentales. Trop souvent, nous nous contentons de pointer du doigt les États-Unis, la France, le Canada et d’autres nations, les accusant de freiner notre progrès. Bien que cette analyse comporte une part de vérité, elle tend à occulter nos propres responsabilités.
Si réellement nous constituions un obstacle majeur à la souveraineté des grandes puissances, pourquoi celles-ci n’auraient-elles pas tenté de nous effacer complètement de la carte ? À l’époque de notre indépendance, Haïti représentait une menace pour les économies coloniales. La colonie de Saint-Domingue, alors la plus prospère des territoires français, fut brisée par notre quête de liberté. Les Français avaient donc mille raisons de chercher à nous affaiblir. Mais qu’avons-nous fait, de notre côté, pour anticiper et contrer leurs offensives ?
Des prophéties ignorées
Tout au long de l’histoire d’Haïti, nos dirigeants semblent avoir ignoré les écrits des grands penseurs de notre nation. Si notre histoire était une mythologie, Anténor Firmin et Louis-Joseph Janvier seraient sans doute perçus comme des prophètes. Leurs œuvres, riches d’idées et de mises en garde, restent pourtant largement négligées. Peut-on croire que nos dirigeants n’ont jamais ouvert un ouvrage d’Anténor Firmin ou de Louis-Joseph Janvier ?
Dans Haïti aux Haïtiens (1884), Janvier écrivait : « Savoir à attendre est la suprême sagesse. Compter sur soi est la plus grande des forces. » Pourtant, au lieu de compter sur nous-mêmes, nos dirigeants se tournent systématiquement vers l’étranger, quémandant des solutions temporaires.
Une coopération internationale douteuse
Dans le cadre du droit international public, la coopération entre États est permise et, parfois, nécessaire. Cependant, elle repose sur une volonté mutuelle et non sur une dépendance servile. Peut-on vraiment croire que la coopération sécuritaire multinationale entreprise par Haïti constitue la meilleure solution à nos problèmes actuels ? Pourquoi ne pas chercher à résoudre nos défis "à l’haïtienne", comme l’enseigne notre histoire ?
Prenons l’exemple des déportés haïtiens. Certains rapportent que le gouvernement américain aurait octroyé des fonds au gouvernement haïtien pour venir en aide à ces personnes à leur arrivée. Pourtant, ces déportés n’ont reçu qu’une somme dérisoire de 1 000 gourdes, insuffisante même pour couvrir leur déplacement vers leur ville d’origine. Ces faits rappellent tristement des épisodes comme le détournement des fonds promis aux victimes du massacre de 1937 sous le gouvernement de Sténio Vincent.
Une vision économique biaisée
Comme le disait Charles de Gaulle : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » Beaucoup de citoyens pensaient que la coopération sécuritaire avec les puissances étrangères découlerait d’une relation d’amitié. Or, il existe des motivations économiques, politiques et stratégiques derrière ces initiatives. Dans cette coopération actuelle, examinons les motivations économiques des pays impliqués, comme le Kenya, pour comprendre qu’il s’agit d’intérêts stratégiques avant tout.
Prenons un exemple hypothétique : un policier haïtien, mal rémunéré dans son pays, est envoyé en mission internationale avec un salaire bien supérieur. Ce policier pourrait n’avoir que peu d’intérêt à voir la mission se terminer rapidement, car elle constitue une source de revenu personnel avantageuse. Ainsi, les missions internationales, présentées comme des solutions, risquent de se prolonger inutilement.
Face à cette réalité, il est urgent de revenir aux enseignements de nos ancêtres et aux écrits de nos penseurs. Souvenons-nous de l’injonction laissée par Dessalines dans la Constitution de 1805 : préserver notre souveraineté à tout prix.
Comme l’écrivait Louis-Joseph Janvier : « De toute guerre civile, une nation doit sortir plus trempée, plus compacte, plus vaillante pour entendre toutes les vérités, toutes les révélations. » Ces vérités nous invitent à nous unir pour construire un avenir meilleur, en rejetant les dérives de nos dirigeants et en assumant pleinement notre responsabilité collective.
Par Fécu BONCOEUR
Étudiant de l'INAGHEI