La corruption en Haïti, un virus qui se propage à la vitesse de la lumière : entre développement et engagement des citoyens

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Dans tous les pays du monde, la corruption représente un facteur majeur qui, négligé, pourrait entraîner une déchéance dans leur évolution et leur développement. Elle est un problème qui freine la croissance économique et qui, par la suite, plonge tout pays gangrené dans un chaos cauchemardesque. La mise en place de mesures pour lutter contre celle-ci semble insuffisante. L'ULCC, instance créée en Haïti pour contrôler le système administratif, n'atteint toujours pas l'apogée de sa fonction malgré les nombreuses dispositions prises et les rapports publiés. Le niveau de corruption ne cesse de grimper, et le gouvernement est dans l'impossibilité d’y remédier à cette inflation de corruption qui pullule et empoisonne notre chère patrie depuis des lustres.


La non-participation, plus que remarquée, des citoyens dans les affaires administratives laisse le secteur fluide et libre à la dérogation des prescriptions constitutionnelles et à leur violation. L’ex-Président assassiné Jovenel Moïse, lors d'un passage à Paris en décembre 2018, a avancé que « la corruption est un crime contre le développement »[1]. Cependant, l’une des questions qu’il faut se poser est : comment la corruption s’est-elle développée en Haïti ? L’engagement des citoyens dans la lutte contre la corruption pourrait-il aider le pays à y faire face ?


La corruption, un terme qui ne devrait être qu'un mal insignifiant dans un pays digne de ce nom, est en Haïti une affliction que le pays s'acharne à combattre sans succès. Un pas en avant mais toujours cinq en arrière, et pourtant, cela n'a pas toujours été ainsi. La corruption n'a pas toujours été aussi étouffante. Chaque mal s'étant abattu sur cette terre pauvre mais ironiquement riche possède sa propre genèse, quelle que soit sa nature, et ce dont il est question maintenant remonte malheureusement à la naissance même de l'État haïtien. « Plumez la poule, plumez la poule, mais évitez qu'elle ne crie… »[2], boutade du premier chef d'État haïtien, Jean-Jacques Dessalines.


Un bien triste reflet de l'Haïti d'antan, mais encore rien de comparable à celle d'aujourd'hui. Ce qu'il faut réaliser, c'est que depuis le début, la corruption était présente, faible mais ignorée. Tapis dans l'ombre, passant à travers les mailles du filet, son éradication a été négligée et toujours remise à plus tard, à tel point qu'aujourd'hui, la poule crie, hurle et supplie qu'on la libère de son bourreau. Mais il est trop tard, ou presque, car celui-ci est devenu trop puissant. « La corruption de chaque gouvernement commence toujours par celle des principes »[3], a écrit Montesquieu, et tous les principes d'une société ne sont régis par nul autre que ses citoyens. Nous avons donc aussi contribué, par un laisser-faire ; nous sommes également fautifs.


Ce fléau s'est développé, pratiqué par les puissants et ignoré par la population, ceux que l'on nomme citoyens, censés s’assurer que des remparts soient érigés contre cette maladie politique qui perdure même après 220 ans. Grandissant progressivement, il infiltre de plus en plus d'institutions à sa portée, de telle manière que la corruption semble désormais liée à sa moelle, devenant presque irrémédiablement une définition, une insulte, une souillure attachée à son nom.



Cependant, les erreurs du passé n'ont pas suffi à ouvrir les yeux des citoyens d'aujourd'hui, car Haïti est affublée d’un score de 17/100 dans la perception de la corruption et est classée 171e sur 180 dans un classement sur le même thème établi par Transparency International[4]. Il existe, bien sûr, certaines résistances, mais elles restent faibles. Comme nous le savons tous, la force de celles-ci réside dans la majorité et dans l'unité. Or, nous ne pouvons point affirmer que cela soit le cas. Bien que certains pointeront le manque de patriotisme, la vérité pourrait être plus complexe qu'elle n'y paraît.


Le népotisme, premier poison à l'unité, le favoritisme à l'égard de ses proches, est l'un des éléments les plus récurrents de la corruption, sévissant parmi les citoyens. Le réseau de contacts « Moun mwen », l'idée que l'on pourra profiter de la position de ceux qu'on a aidés à porter au pouvoir, réduit fortement l'envie d’un changement gouvernemental et fait barrage aux candidats sérieux et intègres, capables de freiner cette corruption. Beaucoup de ceux qui n'en profitent pas bloquent également le changement, car ils attendent leur tour. Ils attendent qu'une place se libère pour propulser leur contact et profiter du pouvoir par son intermédiaire, ce qu'un intègre ne ferait pas. Dans un pays comme Haïti, sous-développé et baignant dans la misère, ces privilèges valent de l'or, et ceux qui en profitent, comme ceux qui veulent en profiter, se résoudront difficilement à y mettre un terme.


À cela s'ajoute la fâcheuse manie des citoyens de s'organiser en clans, où le problème de l'un ne concerne en rien l'autre. À maintes reprises, des secteurs se sont soulevés contre la mauvaise gouvernance nationale sans obtenir la participation des autres secteurs. Bien que le problème soit défavorable à tous, tant que les répercussions ne les atteignent pas… pas encore, ce n'était pas leur problème. Ainsi, une manifestation organisée par le secteur médical ne concerne en rien le secteur juridique, et vice-versa.


Pour ne rien arranger, ces vices ne sont pas seulement un obstacle à l'unité, mais représentent surtout un frein à l'engagement citoyen, un facteur clé dans la lutte contre la corruption et essentiel au développement d'Haïti. En effet, la lutte contre la corruption menée par les citoyens peut créer un environnement propice à la croissance économique et au développement social, en participant aux processus électoraux, en favorisant la transparence et en assurant une utilisation efficace des ressources, renforçant ainsi la confiance dans les institutions. La participation active des citoyens aux élections nous propulsera vers le changement que nous visons, qui ne peut se réaliser qu'avec l'apport de nouvelles têtes sérieuses au pouvoir, qui contreront les manigances des corrompus et penseront à la bonne marche du pays, à son évolution, et non à leur bien-être personnel. Mais cela nécessite des voix, et les élections de 2017 prouvent que ce problème reste à résoudre, avec une participation de seulement 22,44 % à l'échelle nationale[5], soit moins de la moitié de la population.


Il n'est point ici question de volonté générale, et il est grand temps pour les citoyens d'exprimer cette volonté. Prôner la transparence institutionnelle servirait sans nul doute de pierre angulaire dans cette lutte. En utilisant l'un de leurs droits les plus légitimes, celui de demander des comptes à leurs représentants, les citoyens dresseraient une mesure de sûreté drastique qui ferait réfléchir à deux fois les corrompus avant de tenter de faire passer leurs fraudes. Par extension, cela projetterait sur le pays l'image d'un État sûr et propice aux investissements, qu'ils soient nationaux ou internationaux. Ces investisseurs, rassurés de savoir leurs placements protégés contre les diverses magouilles des corrompus, se précipiteraient pour investir dans les différents secteurs favorables, ce qui propulserait sans nul doute Haïti vers une ère prospère. Comme pour sa participation au processus électoral, la quête de transparence reste aussi à améliorer.


Selon un rapport de l'Observatoire Citoyen Anticorruption, l'engagement d'Haïti dans la normalisation de celle-ci a reçu une note de 119/300[6], ce qui est très faible dans la perspective d'un réel changement. Une allocation efficace des ressources et une gestion efficiente des fonds publics sont essentielles pour la prospérité économique et le développement durable. S'assurer que les fonds soient utilisés à des fins favorables au pays empêcherait leur détournement par des pots-de-vin ou d'autres influences politiques visant à financer des projets douteux. Cela permettrait de les investir dans les différents secteurs méritant réellement ces allocations et permettrait au pays de progresser significativement, notamment en implantant des campagnes anti-corruption dans le secteur éducatif. La sensibilisation contre ce fléau encouragerait d'autres citoyens à rejoindre cette lutte ardue contre la corruption. Bien informés sur les moyens d'agir et comprenant en profondeur les rouages illégaux qui la composent, ainsi que les bénéfices à tirer de son annihilation, nous accomplirions plusieurs progrès. Il est clair que l'engagement citoyen ne peut être qu'un facteur de croissance et d'avancement. En participant activement, il est fort probable que la corruption ne fasse pas long feu, cesse de ruiner la vie de milliers de citoyens et d'entraver le cheminement d'Haïti vers un avenir plus prospère.


Pour conclure, la corruption est un fléau en Haïti qui entrave le développement du pays depuis ses premiers jours en tant qu'État indépendant. Malheureusement, au fil des années, elle est devenue de plus en plus prédominante, renforcée par l'absence d'engagement citoyen pour freiner son ascension. Cependant, il est encore temps pour les citoyens de faire une différence. En prenant part aux processus électoraux, en exigeant une transparence institutionnelle et en veillant à une gestion efficace des fonds publics, ils peuvent jouer un rôle décisif dans l'éradication de ce mal endémique. Un Haïti sans corruption est possible, mais cela nécessite un effort collectif et un engagement indéfectible de la part de chacun.


Références :

[1] Declaration de Jovenel Moïse à Paris, Décembre 2018.

[2] Jean-Jacques Dessalines, citation historique.

[3] Montesquieu, “Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence”.

[4] Transparency International, "Corruption Perceptions Index 2023".

[5] Participation électorale en Haïti, 2017.

[6] Observatoire Citoyen Anticorruption, Rapport 2023.



Evens MATHIEU

Rédacteur "LCI"

Étudiant de l’UEH

evensmathieu.ueh@gmail.com

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