De "Pèlebren" à " Bwa kale" une tragédie tournante de l'histoire populaire d'Haïti.

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À la chute des Duvalieristes en 1986, Haïti a été témoin d'une violente chasse aux sorcières. Les Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN), appelés "tonton makout", qui dominaient autrefois les rues de Port-au-Prince, sont devenus des cibles, et la population, les chasseurs. Parmi les méthodes utilisées, le tristement célèbre "Pèlebren" consistait à insérer des pneus sur le corps de la victime et à y mettre le feu, en plein public.


Qui était "Pèlebren" ?

Selon maître Samuel Madestin, invité sur les plateaux de @Ayibopost, Père Lebrun était un mulâtre vendeur de pneus, bien connu pour ses publicités populaires. Ses pneus, réputés solides, ont été utilisés de façon macabre après le départ de Jean-Claude Duvalier en février 1986. Le peuple, exaspéré par les exactions des "makout", a pris de force les pneus du magasin de Père Lebrun pour exécuter les membres de la VSN. Jean-Bertrand Aristide, alors prêtre catholique à Saint-Jean Bosco, surnomma cette pratique le "supplice du collier", trouvant une justification dans les Saintes Écritures. Pour certains, cette méthode était devenue un châtiment divin, et Père Lebrun fut même sacré Monseigneur à la Grande-Anse par le Père Samedi Joachim.

Le "Pèlebren" est ainsi devenu un symbole du mécontentement populaire, marquant un chapitre sombre de l'histoire haïtienne.



Du "Pèlebren" au "Bwa Kale"

Depuis 2022, une nouvelle forme de "Pèlebren" a émergé sous le nom de "Bwa Kale". Cependant, cette fois-ci, ce n’est pas le peuple contre une force dictatoriale, mais contre les gangs armés qui ravagent le pays. Le mouvement "Bwa Kale" a pris de l'ampleur le 24 avril 2023, à Canapé-Vert, lorsque 14 individus armés, présumés membres de gangs, ont été arrêtés par la police. La population, méfiante de l'inaction des autorités, a réclamé leur livraison, les lynchant et les brûlant sur place. Ce mouvement de justice populaire s’est rapidement propagé dans des quartiers tels que Turgeau, Debussy, et Miragoâne.


Origine du terme "Bwa Kale"

Le terme "Bwa Kale" est un argot haïtien qui signifie littéralement "pieux affûté" ou encore "phallus tumescent". Il est utilisé comme cri de ralliement et d’expression d’un profond mécontentement face à l'inaction de l'État. Face à l’absence de justice, le peuple s'est lui-même fait justicier, avec des exécutions sommaires à chaque criminel ou espion identifié. Pierres, bâtons, pneus – tout servait à rendre justice, jusqu'à ce que la victime soit brûlée, sous les acclamations de la foule.



Le "Pèlebren" et le "Bwa Kale" illustrent tous deux un même sentiment d’injustice et de frustration, où la violence devient la réponse à l’oppression et à l'inaction des autorités. Ces pratiques révèlent l’échec d’un État incapable de garantir la sécurité et de rendre justice, poussant un peuple désespéré à devenir son propre bourreau.

En somme, ces actes violents, aussi tragiques qu’ils soient, ne sont que l'expression ultime d'une population qui réclame justice, sécurité et dignité.




Par Abigaël ORILAS

✓ Étudiant à l'INAGHEI  

✓ Activiste politique  

✓ Influenceur  

✓ Professeur de sciences sociales


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