Du carrefour de l'aéroport jusqu'au Portail de Léogane, la "Var" surdimensionnée de la commune de Port-au-Prince.

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Dans le domaine sportif, la "Var" est une technique permettant à un arbitre de prendre une meilleure décision pendant un match. Chez nous, en Haïti, le terme "Var" (ou "VA") prend une tout autre signification : c’est un lieu où l’on trouve la mort, une limite à ne pas franchir, un endroit à éviter à tout prix, sauf en cas d'extrême urgence ou sous l'impulsion de pulsions suicidaires. Ce concept est à la fois physique et idéologique ; on peut le voir ou ne pas le voir, mais on sait qu’il est là.


Delmas 5, Delmas 3, Delmas 6, Delmas 2, le carrefour de l'aviation, le Portail Saint-Joseph, Bel-Air… sont autant de lieux qui incarnent aujourd'hui cette "Var" que nous connaissons tous.


Depuis plusieurs années, le pays subit une montée vertigineuse de l’insécurité, caractérisée par des enlèvements, des assassinats en plein jour, des pillages, et surtout, le contrôle des quartiers par des gangs armés. À Port-au-Prince, ce phénomène est généralisé. Les membres de la coalition "Vivre Ensemble" (anciennement G-9 et G-Pèp, deux groupes rivaux) n'ont fait qu'aggraver la situation depuis février. De nombreux quartiers autrefois paisibles et densément peuplés sont aujourd'hui désertés, devenus des zones où il ne fait plus bon vivre. Se rendre dans ces lieux, jadis foyer d'honnêtes citoyens, est désormais suicidaire, comme dirait ma mère : "Si une lampe s'allume derrière toi, cours."


Prenons l'exemple de Bas-Delmas depuis février 2024. L’absence des forces de l’ordre, la destruction des commissariats au carrefour de l’aéroport, à Delmas 3, au marché Salomon et au Portail Léogane, l'exil des résidents, et les affrontements quotidiens entre groupes armés transforment ces quartiers en frontières de vie et de mort.



Aujourd’hui, plus de 80 % de la commune de Port-au-Prince est constituée de "Vars" – des murailles faites de sacs de roches, de sable, de tables de commerçants, de pneus entassés. Parfois, on ne voit rien, mais tout est là. On a peur de traverser, car la récompense pourrait bien être un braquage ou une balle en pleine tête.


À Bas-Delmas, non loin du viaduc, la situation est flagrante. Jusqu’au Portail de Léogane, des dispositions sont prises pour limiter le déplacement des policiers : des rues bloquées par des bus scolaires ("Bis Dignite"), des murs érigés à chaque coin de rue, des immondices servant de séparateurs, des carcasses de voitures, des cadavres en décomposition… Le parcours est dangereux. Les commerçants.es au carrefour de l’aéroport, au carrefour de l’aviation, sur la route de la piste d’atterrissage (*sou pis*), au marché Croix Bossale, au marché Hyppolite, et les mécaniciens... sont parmi tant d’autres, les résidents de cette "Var" surdimensionnée.

Une "Var" ici, une autre là. Des "Vars" qui n'en finissent pas dans la commune de Port-au-Prince. À chaque nouvelle guerre, à chaque territoire perdu, à chaque quartier pillé et incendié, les autorités réagissent en installant une nouvelle "Var".


La "Var" symbolise l'impuissance et la complicité de l'État, témoignage vivant de la déchéance de Port-au-Prince et de Bas-Delmas.


Hélas !


Que nous réserve l’avenir ? Un pays qui s'effondre encore plus ? Plus de barrières métalliques ? Plus de murs ? Plus de limites ? Plus de zones rouges ?


Que faire ?

Que dire de plus ?

Pourquoi ?



Par Abigaël ORILAS

✓ Étudiant à l'INAGHEI  

✓ Activiste politique  

✓ Influenceur  

✓ Professeur de sciences sociales



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