En économie, on parle de discrimination lorsqu’il y a un traitement différent réservé à deux individus parfaitement similaires, appartenant à deux groupes démographiques distincts (Heckman, 1998). La différence de traitement se fait d’habitude sur la base de caractéristiques telles que le sexe, le handicap, l’origine ethnique, le lieu de résidence, etc. Via cette différence établie, les citoyens n’ont pas la même probabilité de trouver un emploi. Puis, ils ne vont pas jouir les mêmes privilèges dans les lieux du travail. En outre, ils percevront de rémunération et du respect différents. Et, ils ne seront pas affectés au même poste, etc.
Pour contrer
ce fléau qui existe sur le marché de l’emploi, Haïti, pareillement pour les
autres pays, a mobilisé un arsenal juridique au niveau national et a signé des
conventions internationales. En plus des deux textes juridiques cités dans le
premier alinéa du paragraphe précédent que l’État haïtien a ratifiés, il a
également signé en 1981 la Convention sur l’Élimination de toutes les formes de
Discrimination à l’Égard des Femmes (CEDEF). De surcroît, en 1987, dans la Constitution
qu’il a adopté, il a consacré un article[7]
qui interdit de façon implicite la discrimination. En sus, il a signé la Convention relative aux droits des personnes
handicapées en 2006 et la Loi de 2012 qui interdit toute pratique
discriminatoire envers les personnes handicapées. En dépit de la signature de
tous ces textes de loi, le problème qu’est la discrimination reste entier sur
le marché de l’emploi haïtien. C’est ce qui a poussé les autorités étatiques à
prendre des mesures pour favoriser les individus discriminés.
Comme
mesures prises, nous pouvons citer entre autres l’article 17-1 de la Constitution
amendée qui exige le quota d’au moins 30% de femmes dans toutes les
institutions, particulièrement dans les services publics et le chapitre 5 de la
Loi de 2012 qui définit un quota d’emploi d’au moins 2 % de personnes
handicapées en fonction du nombre des employés de l’institution ou de
l’entreprise. Ces mesures constituent au sens de Simon Wuhl (2008) de la
discrimination positive. En effet, Wuhl (2008) définit la discrimination
positive comme « une réorientation des
politiques publiques, dont l’objectif est de favoriser une ou plusieurs
catégories sociales spécifiques, afin de compenser des inégalités préexistantes
et durables qui affectent ces groupes au regard des normes sociales en vigueur
».
Toutes ces dispositions
prises pour éradiquer la discrimination sur le marché de l’emploi voudraient
dire en principe que ce phénomène a des conséquences négatives sur la société
toute entière et que son élimination aura des retombées positives. De là et
tant, une telle interrogation se révèle être pertinente : Quels sont les
avantages dans l’application du principe de la non-discrimination dans le
domaine de l’emploi, particulièrement en faveur des femmes et des personnes à
mobilité réduite ? L’élimination
de la discrimination sur le marché du travail ne permettra-elle pas aux
personnes discriminées de jouir certains des autres droits humains ? L’application de ce principe
n’assurera-t-elle pas une meilleure santé mentale pour les individus
discriminés ? Le respect de ce principe n’augmentera-t-il
pas l’investissement en Capital Humain du pays ? Ne
va-t-il pas aussi engendrer des bénéfices sur le plan économique pour le
territoire ? Ce sont ces questions qui vont constituer l’essence
de notre texte. Pour leur répondre de manière structurée, nous allons adopter
ce plan qui suit.
D’entrée de jeu, nous
montrerons que l’application du principe de non-discrimination augmentera les
chances pour les personnes discriminées de jouir certains des autres droits
humains. De surcroît, nous avancerons le fait que le respect de ce principe
permettra aux individus discriminés de bénéficier d’une meilleure santé
mentale. En outre, nous analyserons le fait que la lutte contre ce fléau
aboutira à une augmentation du Capital Humain du pays. Pour terminer, seront
exposés les avantages économiques de cette mesure, non seulement pour les
entreprises, mais également pour le pays tout entier. Il est à préciser que
dans le cadre de ce travail, nous n’aborderons que la discrimination exercée
sur les femmes et celle produite sur les personnes à mobilité réduite.
L’élimination
de la discrimination comme porte d’entrée à la jouissance d’autres droits
humains
Tous les droits de
l’homme sont étroitement liés, interdépendants et indivisibles. Par conséquent,
la violation du droit au travail peut conduire à la violation d’autres droits
humains. Par exemple, une femme ou personne handicapée qui ne peut pas
travailler et gagner un juste salaire peut être incapable d’atteindre un niveau
de vie décent. Surtout que nous vivons dans des sociétés où l’emploi est un
fait social transversal. En fait, il est un facteur d’amélioration de la
condition de vie des individus. Car, il est la condition sine qua non pour
l’accès aux autres services (logement, loisirs…).
Le travail est donc un
important domaine de réalisation de soi et d’intégration sociale. Il a le
potentiel d’apporter non seulement un gain de ressources monétaires, mais
également des ressources non monétaires aux travailleurs telles qu’une
structure temporelle claire, du sens et une identité (Fidas et Cooper, 2018), un
statut social, de la reconnaissance sociale, un sentiment de compétence, ainsi
que des possibilités de développement personnel et professionnel (Bernaud et
Lemoine, 2013). Ainsi, l’éradication de la discrimination dans le domaine de l’emploi
va permettre aux femmes et aux personnes à mobilité réduite d’avoir la
possibilité de jouir certains autres droits humains, tels que le droit à l’alimentation,
le droit au logement, le droit aux loisirs …
L’éradication
de la discrimination va assurer une meilleure santé mentale pour les
travailleurs discriminés
La santé mentale se définit d’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (2022) comme un « état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté ». Parmi les facteurs qui peuvent affecter la santé mentale d’un individu, les spécialistes notent les situations discriminatoires. Cela sous-entend qu’une personne qui subit de la discrimination sur le marché de l’emploi risque de voir sa santé mentale dégradée. À titre d’illustration, un individu qui est victime de harcèlement sur le marché du travail risque de frapper par la détresse psychologique, de l’irritabilité, du présentéisme et des accidents de travail (Bureau international du Travail – BIT –, 2016b).
En plus, le harcèlement signe
de discrimination au travail augmenterait le risque de maladies
cardiovasculaires et de symptômes d’anxiété et de dépression (Hansen et al.,
2006). D’ailleurs, certaines études ont montré que l’exposition au harcèlement
au travail prédisait mieux l’anxiété et la dépression des travailleurs que
d’autres stresseurs au travail tels que la charge de travail, le pouvoir
décisionnel, l’ambiguïté et le conflit de rôles (Hauge et al., 2010). D’un autre
côté, quand un citoyen ne travaille pas, il peut lui faire perdre le moral en
comprenant qu’il n’est pas utile non seulement à lui-même, mais aussi à sa
famille et à la société. Dit autrement, il développe un complexe d’infériorité
à son égard. En somme, l’absence de discrimination sur le marché du travail va
permettre aux femmes et aux personnes à mobilité réduite de bénéficier d’une
meilleure santé mentale.
Le
principe de non-discrimination va augmenter le Capital Humain du pays.
L’anticipation d’une
discrimination (réelle ou supposée) en fonction de leur vécu (leurs
expériences) et de ce qu’ils entendent, peut avoir comme effet un
sous-investissement en Capital humain ou une autocensure dans la démarche de
recherche d’emploi (Beauchemin et al., 2010). En effet, plusieurs analyses ont
montré que la perception par les agents économiques de l’existence de
discrimination peut modifier leurs comportements professionnels ou éducatifs. Puisque
ces personnes s’attendent à des retours faibles sur leur investissement dans
leur capital humain, elles ont donc tendance à sous-investir dans des études de
longue durée qui sont coûteuses financièrement ou en termes de temps et
d’investissement personnel. Ceci étant dit, l’élimination de la discrimination
sur le marché de l’emploi va propulser les femmes et les personnes à mobilité
réduite à apprendre davantage. Ce faisant, le Capital Humain du pays va être
augmenté.
Les retombées économiques de l’application du principe
de non-discrimination
L’emploi, étant un
vecteur d’intégration et de participation à la société, une discrimination par
rapport à l’accès à celui-ci, met en cause le succès des efforts d’intégration,
conduit à des tensions sociales et constitue une perte économique pour les
entreprises individuelles et l’économie nationale dans son ensemble, en raison de
la non-utilisation du potentiel productif représenté par les personnes
discriminées. Selon une étude menée par France Stratégie (2016), la
discrimination constituerait un manque à gagner de 3 à 14% du PIB (Produit
Intérieur Mondial) mondial. Prenons un exemple dans le sens inverse pour
élucider cette thèse. Considérons qu’un collaborateur se sentant reconnu tel
qu’il est, pour son travail. Ainsi, il ressentira un sentiment d’appartenance
plus fort à l’entreprise. Respecté dans son entièreté, il se montrera également
plus bienveillant envers l’organisation qui lui permet de s’exprimer dans toute
son essence. Mais au-delà de cela, ce sentiment de bien-être va permettre à ce
travailleur d’exprimer tout son potentiel et de développer ses compétences sans
réserve. Cette politique d’inclusion bien établie favorisera en outre
l’ouverture de son esprit, son envie d’échanger, son entraide et sa cohésion.
En résumé, l’idée à
retenir dans ce point, c’est que l’absence de discrimination dans l’environnement
du travail permet de bénéficier le savoir-faire de tout un chacun et pousse les
travailleurs à donner le meilleur d’eux, puisqu’ils savent que leur effort sera
considéré à la juste valeur. D’où, la non-stigmatisation et la non-exclusion à
l’encontre des femmes et des personnes à mobilité réduite vont permettre aux
entreprises et à la société toute entière de croitre plus qu’auparavant.
Conclusion
Dans ce texte, nous nous
avons donnés la mission de présenter les avantages liés à l’application du
principe de la non-discrimination sur le marché du travail en faveur des femmes
et des personnes à mobilité réduite. Nous avons accompli scrupuleusement notre
tâche. Puisqu’après notre exposé, les lecteurs peuvent relever aisément les
bienfaits du respect du principe de la non-discrimination en faveur de ces catégories
sociales précitées. Le premier avantage que nous avons souligné, c’est que le
respect de ce principe permettra aux individus discriminés de jouir certains
des autres droits humains. L’argument que nous avons avancé pour soutenir cette
thèse c’est que les droits humains sont interdépendants et indivisibles.
Ensuite, nous avons
montré que l’application de ce principe est susceptible de faire bénéficier aux
travailleurs une meilleure santé mentale. Puisqu’elle les enlève des risques de
stress et de diminution d’estime de soi. En outre, nous avons vu que l’élimination
de la discrimination sur le marché de l’emploi va augmenter le Capital Humain
du pays. Car, celle-ci va encourager les couches discriminées à investir
davantage dans la formation. Pour en finir, nous avons relaté que l’éradication
de ce fléau aura des avantages économiques que ce soit pour les entreprises,
mais aussi pour le pays tout entier. Étant donné que l’absence de la
discrimination aura comme bienfaits de faire profiter aux entreprises et au
pays le plein potentiel de tous les individus.
Jonathan GÉDÉON, Étudiant finissant en Sciences Comptables
et en Sciences Économiques
Bibliographie
sélective
1-
BAIOCCO Michèle, Élaboration d’un indice composite de
qualité de l’emploi des employé.e.s LGBTQ+ du Québec : Résultats de
l’enquête SAVIE-LGBTQ (2019-2020), mémoire présenté en février 2022 comme
exigence partielle de la maîtrise en Sexologie à l’Université du Québec à
Montréal. PDF.
2-
COMBARNOUS François, Discrimination et marché du travail :
concepts et théories, septembre 1944. PDF.
3-
Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme (DUDH),
1948. PDF.
4-
Haïti, Constitution amendée de 1987, 2012. PDF
5-
JEAN Manuella, Rapports sociaux de sexe, capacitisme et
conditions d’accès à l’emploi pour les femmes en situation de handicap en Haïti,
thèse soumise en décembre 2021 à
l’Université d’Ottawa dans le cadre des exigences du programme de maîtrise ès
arts en sociologie. PDF.
6-
JONES Emilia, Discriminations, lieu de résidence et marché
du travail, thèse de doctorat présentée le 04 décembre 204 en vue de
l’obtention du grade de Docteur en Sciences Économiques à l’Université
Paris-Est Marne-LA-Vallée. PDF.
7-
MBAYE Louise Philomène, Handicap et Emploi : entre
discrimination et inclusion professionnelle, thèse de doctorat présentée le
20 septembre 2021 à l’Université Gustave Eiffel en vue de l’obtention du grade
de Docteure en Sciences Economiques. PDF.
8-
MBAYE Souleymane, Trois évaluations d’actions de lutte contre
les discriminations, thèse de doctorat soutenue le 09 décembre 2019 à
l’Université Paris-Est en vue de l’obtention du grade d Docteur en Sciences
Économiques. PDF.
[1] Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail
à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection
contre le chômage.
[2] Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit au
travail, qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de
gagner sa vie librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées
pour sauvegarder ce droit.
[3] Nous n’utilisons que le genre
masculin dans notre papier, c’est juste pour l’alléger. Ce n’est pas parce que
nous sommes sexistes pour autant.
[4] La définition la plus classique de l’emploi est celle de l’Organisation
Internationale du Travail (OIT) (2009 : 8) qui souligne que : « L’emploi est un contrat passé entre un
employeur (qui offre l’emploi ou pour qui on travaille) et un employé (celui
qui exécute le travail) pour la réalisation d’un travail contre une
rémunération. ».
[5] On y a fait même référence dans certains textes religieux
anciens. À titre d’illustration, le livre de Lévitique (un des livres de la
Bible) a mentionné dans le chapitre 27 que « La valeur d’une femme doit d’être estimée à trois cinquièmes de la
valeur d’un homme ».
[6] Jean-Marie Basil (2009) définit le travail comme étant : « la manifestation de l’effort humain orienté
vers la connaissance, la compréhension, l’aménagement ou la transformation du
monde ». Plus loin, il ajoute que le travail est « un déploiement de l’effort humain, la conduite d’une activité physique
ou intellectuelle vers la réalisation d’une œuvre quelconque » (idem :
22). Suivant la façon dont cet auteur le définit, nous pouvons constater que le
travail et l’emploi ne sont pas synonymes, contrairement à ce que pensent plus d’un.
Mais étant donné qu’ils se rencontrent sur certains aspects, dans notre travail
nous allons utiliser ces termes de manière indifférenciée.
[7] L’article 19 de la Constitution d’Haïti stipule : L’État a l’impérieuse obligation de garantir
le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les
citoyens sans distinction, conformément à la Déclaration Universelle des Droits
de l’Homme.