Par Jonathan GÉDÉON
Dans
un article que nous avons publié, nous avons montré la relation complexe qui
existe entre la croissance économique et la qualité de l’environnement. En
effet, nous avons vu clairement que la protection de l’environnement n’est pas
compatible avec le système de production en vigueur actuellement dans le monde.
Puisque ce dernier a pour conséquence une diminution ou une altération de notre
capital naturel. De cette constatation, nous avons pu affirmer haut et fort que
certainement il existe une dualité entre la création de richesse et la
préservation du milieu naturel. Mais étant donné qu’il est quasiment impossible
de concevoir le monde sans croissance économique, certains économistes ont proposé
des alternatives en vue de concilier la croissance économique avec le maintien
de l’environnement.
Ces différentes propositions nous ont permis de voir qu’il y a certaines possibilités offertes à nous dans l’optique d’opérer cette conciliation. L’objet de ce papier c’est justement de présenter ces différentes approches pour voir celles qui sont plus viables pour sauver notre planète. Ainsi, nous allons passer en revue la courbe environnementale de Kuznets, la taxe de Pigou, la soutenabilité faible/forte, la décroissance et l’éco-économie qui sont les principales réflexions avancées par des économistes dans l’optique de proposer une harmonisation entre la création de richesse et la préservation du milieu ambiant.
1-
La courbe
environnementale de Kuznets : la croissance n’est pas le problème, mais la
solution.
Bien qu'elle n'ait pas été
découverte par l'économiste américain S. Kuznets, cette courbe (pollution en
ordonnée et revenu par habitant en abscisse) a été ainsi dénommée par référence
aux travaux de ce Prix Nobel, dans les années 1950, mettant en corrélation
l'évolution du niveau de vie et les inégalités de répartition des richesses
dans l'histoire d'un pays. La courbe environnementale, quant à elle, décrit la
relation (en U inversé) qui existerait entre le niveau de développement d'un
territoire et le degré de pollution engendrée par les activités économiques.
Selon cette approche, apparue dans les travaux de Grosmann et Krueger (1991) et
dans les études de Shafik et Bandyonadlyay (1992), la croissance sera en amont
nuisible à l’environnement, puisqu’elle provoque un accroissement de la
pollution. Mais, lorsqu’elle atteindra un certain niveau, la création de la
richesse le sera bénéfique en aval. Car, elle va enrichir les citoyens qui
deviendraient alors davantage soucieux de l’environnement qui est considéré
comme un bien supérieur (de fait les réglementations environnementales sont
bien plus contraignantes dans les pays riches démocratiques), de dégager des
suppléments de revenus susceptibles d’être alloués à la protection de
l’environnement, de diffuser de nouvelles technologies permettant une meilleure
utilisation des ressources économiques, enfin les entreprises finissent par
réclamer sous la pression des citoyens-consommateurs des mesures visant à
protéger un environnement nécessaire à la bonne marche de leurs activités.
Statistiquement, selon Harbaugh et al. (2002), ce point d’inflexion se
situerait autour d’un revenu par habitant de 8000 dollars.
Les
hypothèses émises par les adeptes de cette approche ont donné une infirme
vérité. Étant donné que l'intensité énergétique des pays de l'OCDE
(Organisation de Coopération et de Développement économiques) a diminué de 40%
depuis 1980, et le Département de l'énergie américain prévoit une diminution de
l'intensité énergétique mondiale de 1,8% par an sur la période 2003-2030 due
aux différents chocs pétroliers puis à la dématérialisation croissante de
l'économie. Toutefois, d’autres réalités montrent des résultats bien différents
de ceux prétendus par cette théorie. Les États-Unis, l’union européenne et la
Chine, étant les 3 plus grandes puissances économiques mondiales, sont en même
temps les plus grands pollueurs de l’humanité en ce moment où nous écrivons ces
lignes.
2- Le principe pollueur-payeur et l’émission des droits à polluer
Face à l’incapacité des adeptes de cette courbe de proposer une méthode pour concilier le développement économique et le maintien de l’environnement, d’autres économistes se sont efforcés de donner un prix aux atteintes à l’environnement afin de pouvoir suggérer aux autorités étatiques de prélever une taxe sur ceux qui exercent des activités ayant des impacts négatifs sur notre planète. C’est le principe pollueur-payeur enseigné par l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou (1920). Cette logique veut aussi que l’État subventionne les productions ayant des effets positifs sur notre milieu ambiant. Comme avantages, la taxation augmente le coût de production. Alors, le producteur est incité à réduire la quantité produite ou à adopter de nouvelles méthodes de production moins polluante. Elle augmente aussi le prix des achats des consommateurs qui est donc incité à moins consommer ou à modifier ses préférences (préférer le vélo à la voiture pour les petits déplacements par exemple). À condition, la taxation ne doit être pas trop élevée, sinon elle va nuire à la compétitivité des entreprises et peut conduire à leur délocalisation. En continuité à cette approche, selon Ronald Coase (1960), l’internalisation des effets externes, c’est-à-dire leur prise en compte par les agents, pourrait être obtenue sans intervention de l’État autre que l’établissement de droits de propriété et par la seule négociation marchande entre les pollués et les pollueurs, quelle que soit la répartition initiale des droits entre eux. C’est sur cette base que pour éliminer l’essence au plomb et limiter les émissions de dioxyde de soufre, les États-Unis ont créé en l974 des marchés de droits à polluer. L’avantage ici est que cette mesure parait être moins couteuse, et que l’intervention de l’État n’est que pour établir les mécanismes de l’offre et de la demande, ce qui est censé optimiser le processus d’allocation des ressources entres les entreprises.
Un problème pertinent est posé
avec ces deux approches: celui de l’évaluation monétaire des dommages. D’abord,
il est difficile de prendre en considération ces effets avant que le tort ne se
soit manifesté : or les dégâts peuvent être irréparables. Il faut donc avoir
recours à des prix « fictifs » correspondant au coût marginal des mesures de
protection ou de reconstitution pour définir une valeur économique de la nature
comme la somme des valeurs liées à son usage effectif ou potentiel - valeur
d’option, de quasi-option, de legs, d’existence ou valeur écologique, consulter
Harribey (1997) pour savoir plus sur ces valeurs. C’est pourquoi une équipe
d’économistes, au prix d’un effort gigantesque, a évalué en l997 l’apport
annuel de la nature à un montant situé entre 16 000 et 54 000 milliards de
dollars, à partir du montant que les populations sont prêtes à payer pour la conserver
(consentement à payer). Il s’agit là de chiffres astronomiques qui remettent en
cause toute croissance.
3- Soutenabilité faible/forte, décroissance et économie
verte
Dans
la perspective néoclassique, il importe que, moyennant un taux d'épargne
suffisamment élevé, le stock de capital à disposition de la société reste
intact d'une génération à l'autre. Si la quantité totale de capital est
constante, il est possible, selon les néoclassiques, d'envisager des
substitutions entre les différentes formes de capital : une quantité accrue de
« capital créé par les hommes » doit pouvoir prendre le relais de
quantités moindres de « capital naturel » (services environnementaux et
ressources naturelles). Un échange s'effectue ainsi dans le temps, selon R.
Solow : la génération présente consomme du « capital naturel » et, en
contrepartie, lègue aux générations futures davantage de capacités de
production sous forme de stocks d'équipements, de connaissances et de
compétences. Cette hypothèse de substituabilité suggère
à peu de choses près que l’épuisement des ressources ou la dégradation de
l’environnement sont légitimes à partir du moment où ces ressources (ou ces
dégradations) permettent la création d’un capital artificiel (technologique ou
financier) qui sera lui-même légué aux générations futures en lieu et place du
capital naturel dégradé ou épuisé. C’est la soutenabilité faible (économie de
l’environnement) présentée par Pearce et Atkinson (1993), et soutenue par Solow
et ses partisans.
À l’opposé, les tenants de la
« soutenabilité forte » (économie écologique) adoptent une approche beaucoup
plus prudente vis-à-vis de la technologie. Portée à l’origine par différents
penseurs que l’on rattache parfois au mouvement de l’Ecological economics
(entre autres René Passet en France, Nicholas Georgescu-Roegen aux États-Unis),
l’approche de la soutenabilité forte considère que le capital environnemental
est constitué d’éléments fondamentaux qui ne sauraient faire l’objet d’une
substitution technologique satisfaisante. Puisque l’environnement est fragile
et que ses capacités sont limitées, et parce que le système économique est un
sous-système qui tire ses ressources du système écologique englobant, les
tenants de la soutenabilité forte en déduisent que c’est au système économique
de s’adapter et de contraindre ses exigences afin de respecter les limites de
l’écosystème. Ce point de vue allait être conforté avec la théorie de la
décroissance.
Le seul moyen de mettre un
terme rapide à la destruction du patrimoine naturel, pour Nicholas
Georgescu-Roegen (1995), l’introducteur de cette dernière théorie, consiste à
bouleverser nos modes de vie et notre système économique. Pour lui, même la
croissance zéro ne suffit pas. Car, ce faisant ne ferait que retarder les
catastrophes. Il a cru que c’est la « décroissance » seule qui permettrait de
retrouver un mode de vie soutenable. « Le seul scénario autorisant
l’égalité mondiale à un niveau soutenable impliquerait un doublement de la
consommation dans les pays du tiers-monde et sa décroissance annuelle de 5 %
dans les pays industrialisés pendant quarante-huit ans! », a-t-il conclu.
La décroissance – comme le mot l’indique – veut dire réduire la production et
la consommation pour limiter les dégâts sociaux et environnementaux. Plus
précisément, c’est un ralentissement et un rétrécissement de la vie économique
au nom de la soutenabilité, de la justice sociale et du bien-être. Mais,
si l’on considère que la population sur terre ne cesse d’augmenter et sera
estimée d’ici 2050 à neuf milliards d’habitants ; on pourrait dire que la
mesure de décroissance restera pour toujours une utopie. Vu que l’accroissement
de la population mondiale entrainera sans nul doute l’augmentation des demandes
en biens et services et stimulera davantage la production afin de satisfaire
les besoins et le bien-être individuel.
L’alternative qui semble la plus viable
pour sauver notre planète est celle de l’éco-économie
ou économie verte. Représentant une nouvelle étape dans cette réconciliation
entre environnement et marché, à partir de 2012 à Rio, l’éco-économie est
définie par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) comme
une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité
sociale, tout en réduisant de manière significative les risques
environnementaux et la pénurie de ressources. L’économie verte suggère une
révolution mentale : loin de considérer l’environnement comme une donnée
contraignante à intégrer dans le système économique, elle envisage l’économie
comme un outil de production d’un meilleur environnement. Cette économie fondée
sur le recyclage des énergies propres et l’essor des services pourrait à la
fois assurer le plein-emploi et le progrès du niveau de vie. Ainsi, elle
implique une autre conception du niveau de vie, qui renonce notamment à
l’accumulation indéfinie de biens matériels. Ce point demande plus
d’éclaircissements dans un autre travail, puisqu’une étude récente pointe du
doigt la possible contamination des aliments et boissons en contact avec le
plastique recyclé.
En
guise de conclusion, parmi l’ensemble des possibilités de conciliation entre la
croissance économique et le maintien de l’environnement, nous jugeons que celle
de l’éco-économie est la plus aboutie. Ainsi, les pays doivent emboiter le pas
vers l’économie verte en vue de sauver notre planète. Pour renforcer cette
bataille, ils peuvent en même temps opter pour la taxation de Pigou, l’émission
des quotas de pollution et la soutenabilité faible. Dans la mesure où ces
politiques se montrent être efficaces aussi. Pour faire avancer ce débat, nous
clôturons notre papier avec cette question : Ne devrait-on pas aborder la
relation conflictuelle entre l’accroissement économique et l’environnement dans
une démarche malthusienne?
Jonathan
GÉDÉON, étudiant finissant en Sciences Comptables et en Sciences Économiques