ECONOMIE:La croissance économique d’Haïti est de plus en plus vulnérable face aux désastres naturels

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                            Par Jonathan GÉDÉON,


 Pour avoir une idée globale sur l'impact majeur qu'ont les désastres naturels sur l’économie haïtienne, on n'a qu'à consulter un document publié en 2016 par la Banque mondiale qui s'est intitulé « Diagnostic sur l’impact économique et budgétaire des désastres en Haïti ». Dans ce document, la Banque mondiale nous a révélé qu'en seulement six ans, entre 2010 et 2016, les pertes économiques liées aux évènements naturels étaient évaluées à plus de 11.3 milliards de dollars américains, soit environ 157 % du produit intérieur brut (PIB) nominal du pays en 2019-2020, estimé à 625.6 milliards de gourdes ou 7.2 milliards de dollars américains au taux moyen de change de 86.8 gourdes pour un dollar américain en septembre 2020. Alors qu’en août 2021, avec le dernier séisme, c’est plus de 1,5 milliards de dollars qui étaient disparues.


Et bien avant le tremblement de terre dévastateur de 2010, les désastres naturels causaient beaucoup de dégâts à notre économie. Rappelons-nous que le passage de l’ouragan Jeanne en 2004 avait occasionné des pertes et dommages matériels élevés à 476.8 millions de dollars américains, soit 7 % du produit intérieur brut (PIB) de l’époque. Quatre ans après, en 2008, Haïti était victime des méfaits de quatre cyclones majeurs : Faye, Gustave, Hanna et Ike. Les dommages et pertes s’étaient  évalués à 1.1 milliard de dollars américains, soit 14.6 % du PIB d’alors.

Plus loin dans ce document, la Banque mondiale nous a présenté une estimation sur les dommages et les pertes associés aux évènements hydrométéorologiques arrivés en Haïti de 1976 à 2014. 150 millions de dollars américains perdus par an en raison de ces évènements, nous a rapportés la Banque mondiale. Ainsi, le classement de Germanwatch Global Climate Risk Index dans lequel Haïti est classé en troisième rang des pays les plus affectés par des évènements climatiques entre 1995 et 2014 ne doit pas nous étonner en aucun cas. À noter que ces chiffres n’ont même pas considéré les pertes humaines très considérables engendrées par les désastres naturels. C’est pour nous dire que les catastrophes naturelles ont déboulonné notre économie.


Ces évènements nous frappent autant à cause que des haïtiens et des étrangers participent à dégrader notre environnement dans l’optique de créer des activités économiques pour survivre ou pour s’enrichir. Cela traduit que la quête du bien-être en cherchant à tout prix la croissance économique, va avoir des conséquences funestes sur notre milieu naturel. Ce point a attiré l’attention de certains chercheurs depuis le début des années 1970.

À cause que la dégradation de l’environnement était mieux appréhendée par le grand public de l’époque ; ceci poussait, en 1972, le Club de Rome a publié le célèbre « rapport Meadows », traduit par l’interrogation « halte à la croissance? ». Ce document a mis en évidence une corrélation positive entre la croissance économique et la destruction de l’environnement. À noter que, la croissance se définit communément comme la hausse du niveau de production, lui-même évaluée par le Produit Intérieur Brut (PIB), en volume (c’est-à-dire en dehors de la hausse du niveau général des prix) et de manière globale (pour un pays). Et que l’environnement lui-même est vu par Michel Prieur (2016 : 1 cité par Julien Gourin, 2021 : 27) comme étant « l'ensemble  des  facteurs  qui  influent  sur le milieu dans lequel l'Homme vit ».


Une décennie plus tard, soit dans les années 1980, le débat autour des limites écologiques du progrès économique tenait toujours l’actualité, surtout avec la venue du concept de développement durable. À rappeler que, ce terme apparaît pour la première fois en 1980 et il est entériné lors de la Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement de Rio de Janeiro en 1992. Sa définition la plus simple (celle du rapport Brundtland) est la suivante : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. ».


De surcroît, plus près de nous, soit le 30 octobre 2006, l’ancien économiste en chef de la Banque Mondiale Stern a publié un compte-rendu relevant les dangers auxquels l’humanité est exposée, notamment au changement climatique, si rien n’est fait dans la logique de production pour freiner la destruction des écosystèmes. Ce bulletin a conclu qu’avec l’exacerbation du changement climatique, le monde risque de connaître : une crise plus profonde que celle des années 1930 avec un effondrement de 20% de la production économique, des déplacements d’environ 200 millions de personnes victimes de la sécheresse ou d’inondations, des conflits politiques internes et externes du fait d'ʹune situation caractérisée par une pénurie d’eau pour un sixième de l’humanité, une diminution des rendements agricoles, une perte de la biodiversité en général évaluée à 40 % des espèces animales, etc.


 Utilisant les résultats de modèles économiques officiels, le rapport Stern estime que si nous ne faisons rien, et continuons le « business as usual », les coûts et les risques globaux du changement climatique seront équivalents à une perte d’au moins 5 % du PIB mondial chaque année, et ce pour toujours. Et dans certaines situations extrêmes, les dommages pourraient s’élever jusqu’à 20 % du PIB, voire plus. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de sa part, avance qu’au rythme où vont les choses, la température pourrait atteindre le plafond de 5,8 degrés d’ici à 2100. Tous ces intérêts portés à ce sujet et les alertes lancées par Stern et d’autres intellectuels sur les jours sombres qui attendent notre planète si nous continuerions sur cette voie, nous suscitent à réfléchir sur les raisons qui peuvent expliquer cette opposition entre la croissance économique et la préservation de l’environnement.


L’environnement appartient à la catégorie des biens publics ou collectifs. C’est-à-dire des biens dont leur consommation est non-rivale – la consommation d’une unité du bien par un individu n’empêche pas sa consommation par un autre individu – et non exclusive – dans l’état considéré, il n’est pas possible d’exclure une personne de la consommation du bien. Ce faisant, les êtres humains surutilisent l’environnement dans l’optique de maximiser le profit qu’ils puissent en tirer. Les agents économiques se livrent donc à une rude concurrence pour voir qui pourraient s’enrichir le plus en utilisant les intrants environnementaux. Telle est la tragédie des biens communs décrite par l’économiste Garrett James  Hardin (1968).


Et l’utilisation de ces intrants nuit de façon énorme à ce bien collectif, sans le prendre en considération dans le calcul de la rentabilité de ces actions. Ce fait qui était ignoré par les économistes classiques qui croyaient fermement dans la logique de la main invisible d’Adam Smith, est appelé externalité. Cette dernière peut être positive ou négative. Par exemple, l’usine qui pollue une rivière, obligeant les utilisateurs en aval à épurer l’eau pour s’en servir; commet une externalité négative. Par contre, une industrie qui produit des objets avec des détritus, exerce une externalité positive sur la biosphère.

 La démarche structurelle de la relation entre croissance et environnement a été initialement appréhendée avec la formule posée par Ehrlich et Holdren (1971) : I=P.A.T, où I est la pression sur l’environnement, P est la taille de la population, A est le niveau de consommation par tête et T est un indice de la technologie. La force de cette relation est qu’elle est très intuitive. En revanche, sa faiblesse c’est qu’elle est une relation qui permet de décrire, mais qui n’explique rien.


Avec le temps, on se rend compte vraiment que les activités humaines sont les véritables prédateurs de la nature. Les propos suivants en sont une très bonne illustration. En 1700, seulement 5% des terres de la biosphère étaient accaparées par des activités anthropiques intensives (agriculture, villes), 45% étaient dans un état semi-naturel et 50% totalement sauvages. Néanmoins, en 2000, 55% de la biosphère étaient accaparées par des activités intensives de l’espèce humaine, 20% étaient dans un état semi-naturel et 25% sauvages (Ellis et al, 2010). En outre, surpêche, pollution des eaux souterraines, émission de gaz à effet de serre, production de déchets ménagers, diffusion des produits chimiques, pollution atmosphérique due aux particules fines, érosion des terres, déforestation, production de déchets radioactifs, sont tous en augmentation constante depuis 1980.

Ceux-ci ont causé l’augmentation de la quantité de gaz à effet de serre - CO2, le principal de ces gaz. Cependant, il y a aussi la vapeur d’eau et l’ozone. Mais le dioxyde de carbone (CO2) reste le plus important. - dans l’atmosphère à 30% depuis l’ère préindustrielle, augmentant par la suite la température mondiale ayant comme conséquences: montée du niveau de la mer, déstabilisation de la régularité climatique, disparition de 800 espèces et menace d’extinction de 11 000 autres, mort de 27% des récifs de corail dans les zones côtières, utilisation de 70% des volumes d’eau par l’agriculture, fonte des glaces, progression des zones arides, catastrophes climatiques destructrices, la destruction des sols, l’assèchement et l’empoisonnement des nappes phréatiques, la désertification, la dissémination de parasites indésirables, le risque de ravages microbiens… Somme toute, on peut confirmer qu’il y a une relation conflictuelle entre la croissance économique et la protection de l’environnement.

 

Jonathan GÉDÉON, étudiant finissant en Sciences Comptables et en Sciences Économiques

 

 

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