Dans notre dernier article publié dans ce journal, nous avons commencé à parcourir les différents rôles joués par la femme dans le récit Gouverneurs de la rosée. Nous avons vu que la femme, à travers ce roman, est une personne qui ne s’occupe que des tâches ménagères et un être qui complète l’homme mais tout en restant subalterne à ce dernier. Cependant, la femme a rempli d’autres fonctions beaucoup plus intéressantes et plus valorisantes que celles qu’on vient de citer. En effet, elle a participé dans le périple pour amener de l’eau dans la localité de Fonds-Rouge.
Toujours est-il que nous précisons qu’il y a deux femmes qui se sont distinguées dans le roman grâce à leur rôle spécifique joué. Il s’agit bien de Annaïse et de Délira. Deux noms qu’on pourrait même considérer comme étant deux héroïnes de l’histoire, à côté de Manuel qui est incontestablement le personnage principal. Ainsi, nous pouvons supposer que le romancier a mis en valeur le leadership féminin à travers cette œuvre. De ce fait, allons-nous voir l’engagement communautaire des femmes dans le roman et les rôles spécifiques joués par Délira et Annaïse afin d’affirmer notre supposition.
Toutes les femmes figurant dans le roman se
montrent conscientes de la dure réalité qui frappe Fonds-Rouge. Elles en
discutent entre elles et aussi avec leur conjoint. Le constat fait par la
vieille Délira Délivrance, au tout début du récit, témoigne de cette prise de
conscience dans le camp féminin. “Nous
mourrons tous… et elle plonge sa main dans la poussière : la vieille Délira dit
: nous mourrons tous : les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants, Ô Jésus
Maria la Sainte Vierge ; et la poussière coule entre ses doigts, p.19, se
lamente Délira. Qu’en plus des “chrétiens vivants”, la conjointe de Bienaimé
fait mention aussi des animaux et des végétaux qui sont menacés de disparition
par la sécheresse qui s’abat sur la communauté. Ceci montre la conscience de la
vieille de l’interdépendance entre les éléments du système écologique.
Face à ce constat, Délira s’adresse tout le temps à Dieu. Et elle participe
dans les cérémonies de vodou pour invoquer les loas dans leur détresse. Bien
que pour le narrateur tout cela soit inutile, mais c’est une forme de
contribution qu’elle veut donner pour remédier à la sécheresse. Plein d’autres
parties dans l’histoire où le narrateur nous présente des inquiétudes émises
par certaines femmes quant à misère que connaissent les habitants du village.
Ces femmes-là suivent presque la même démarche avec Délira pour tenter de
donner leur apport pour le changement de la communauté. Par contre, nous pourrions
questionner le fait que c’était Délira, une femme qui porte la superstition et
que celui qui va être le sauveur est Manuel, un homme. Dommage, on ne va pas
s’attarder sur ce point. Mais ce serait intéressant de l’aborder dans notre
papier.
Finalement, l’eau va apparaître dans les savanes
de Fonds-Rouge après de durs labeurs du garçon de Bienaimé. Toutefois, pour
arriver à ce stade, il fallait la réconciliation entre les familles de la
localité. Dans le processus de raccommodement des habitants, c’étaient les
femmes qui portaient le flambeau. Elles mettaient à l’épreuve tous les moyens
pour convaincre leur mari à l’idée de faire front commun pour la quête de
l’eau. […] Les négresses avaient commencé
à leur rendre la vie impossible. Elles les harcelaient sans répit, bourdonnant
à leurs oreilles mille questions et quantité de plaintes : elles étaient pires
que des guêpes. […] Elles les attendaient à la barrière ou sur
le pas de la porte et les récriminations reprenaient de plus belle. p.141.
Plus loin, Marianna va entraîner son mari Josaphat à l’idée de fraternisation à
l’aide d’un danger qu’elle met en relief. “Mais
je n’aurai jamais la force de porter ce petit jusqu’au bout, si nous continuons
à vivre dans cette misère, p.142, prévient-elle. Cette déclaration a
contraint Josaphat d’annoncer à sa femme qu’il va dire oui à Gille.
En dépit de tous ces engagements qu’on peut constater
auprès des femmes, c’est triste de mentionner
qu’elles étaient toujours absentes dans les réunions organisées chez
Larivoire pour poser les problèmes auxquels fait face le village. La seule fois
qu’une femme se tenait devant un groupe de personnes pour prendre la parole
c’était après les funérailles de Manuel. Et on pourrait supposer que c’était la
circonstance qui l’obligeait ; vu que tout le monde aurait aimé savoir
l’endroit de la source trouvée par le défunt.
Annaïse, un pont vers la réconciliation et Délira, la messagère de la
délivrance
Annaïse et Délira sont les deux protagonistes
féminins de ce roman. Annaïse qui était auparavant rebelle et capricieuse
envers Manuel, devenait de jour en jour plus polie envers lui. Jusqu’à ce
qu’elle devînt son adjuvante. Cette union va être avantageuse pour plusieurs
raisons pour Manuel. Car, Annaïse apporte les messages de paix et d’harmonie de
ce dernier dans sa maison. Ceci a permis à la famille de la jeune demoiselle
d’être de moins en moins intolérante envers son amoureux. En plus, la compagne
de Manuel lui transmet les propos malsains lancés par les voisins à son égard.
De surcroît, Annaïse était à maintes reprises à côté de Manuel pour
l’encourager dans le processus de la quête de l’eau. En dernier ressort, c’est
Annaïse qui allait montrer la source aux habitants après les funérailles de son
copain. Et elle essayait de combler le vide que la mort de ce dernier laisse au
cœur de sa belle-mère.
Quant à Délira, la mère de Manuel, elle a fait
tout pour mettre son fils dans les bonnes conditions pour qu’il soit heureux.
Elle prépare de la nourriture à temps pour son garçon. Elle lui laisse le lit
sur lequel elle a l’habitude de coucher. En fait, elle lui témoigne de temps à
autre tout son amour. Et elle joue le rôle d’intermédiaire entre Bienaimé et
Manuel afin d’éviter que le vieillard “toujours prêt à la colère et à
l’irritation” n’offense pas son fils par ses propos. Comme exemple, c’est
Délira qui convainc Bienaimé d’accepter Annaïse. Et c’est elle qui fait
entendre à ce dernier l’idée de rapprochement prônée par Manuel. L’attention
donnée par Délira à son garçon pourrait nous faire oublier que Manuel était un
adulte pour avoir en tête qu’il était un adolescent.
Pour boucler l’histoire en toute beauté, c’est cette vieille qui va achever la mission de Manuel. C’est elle qui va transmettre, avec toutes les familles réunies, le message de rabibochage véhiculé tribord-bâbord par son fils. En outre, au lieu d’engager dans la revanche, Délira exhorte les habitants à cacher la vérité sur la mort de son fils ; bien que ce fût la volonté de Manuel. C’est un signe qui montre qu’elle veut que le sacrifice du sang de l’amant de Annaïse soit servi de catalyseur pour faire régner la paix dans la localité. Par conséquent, elle vaut la peine d’apporter le nom de Délira Délivrance. Puisque ce nom fait penser à un personnage qui se propose de délivrer les chrétiens vivants, les animaux et les plantes de la “poussière”, de la misère en invoquant le nom de Dieu. Cependant sans Manuel, le patronyme de Délivrance n’aurait pas eu le vrai sens qu’il avait finalement pris.
Jonathan Gédéon,
étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables