SOCIETE: Gouverneurs de la rosée : un roman écologiste avant la lettre

0

 

 « Gouverneurs de la rosée », œuvre posthume de Jacques Roumain, est publiée en décembre 1944, soit quatre mois après sa mort, par les soins de l’imprimerie de l’État. Ce roman qui a fait le tour du monde, est un véritable testament laissé par Roumain pour le monde entier, particulièrement pour les Haïtiens. Les propos divulgués par le héros de ce récit, Manuel, sont sans dire peut-être les souhaits sociopolitiques, économiques et culturels de l’auteur pour Haïti. L’importance accordée par Manuel à l’environnement (on verra ça ultérieurement) et au vivre ensemble, la façon dont il conçoit la religion sont des traits caractéristiques de l’auteur lui-même. C’est pour cela qu’on pourrait qualifier cette œuvre de roman à thèse.

 

Ce livre retrace l’histoire d’un petit quartier nommé Fonds-Rouge, divisé par des rivalités et dévasté par la sécheresse. Par ailleurs, l’érosion affective envahie un couple de la zone depuis le départ de leur fils unique (Manuel) à Cuba. Les villageois, ayant constaté avec un sentiment d’impuissance le dépérissement de leur environnement, s’adressent à tous les saints dans la quête d’un changement. Manuel après avoir passé quinze ans ailleurs, revient au quartier, puis a consacré tout son temps dans la quête de l’eau et en exhortant les familles de se réconcilier.  Finalement, il va trouver l’eau avec l’aide de sa mère (Délira) et de son amoureuse (Annaïse). Alors qu’il va être assassiné. Sa mort a servi à réconcilier les familles et tout d’un coup la localité de Fonds-Rouge sort dans le labyrinthe.

 


Ce roman met en scène les liens inextricables entre les êtres humains et l’environnement. D’entrée de jeu, le titre du roman, de traduction créole « Mѐt lawouze » est une preuve de la définition anthropocentrique dont revêt l’environnement pour le romancier. Dans le corps du texte, le personnage principal pose la question : « Le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres et tous les fruits, si ce n’est pas nous, qui les fera pousser », (Les Éditions Fardin, 2007, p.77), afin de montrer la prépondérance des êtres humains sur ceux naturels. Il a ajouté « Nous sommes ce pays et il n’est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? », ibid. et « […] c’est le propre vouloir du nѐgre […] de dompter […] la terre », p.55. On a vu aussi que le protagoniste revendique la terre comme étant la sienne. Voici ce qu’il a dit à ce propos.  « Je suis ça : cette terre-là, et je l’ai dans le sang. Regarde ma couleur : on dirait que la terre a déteint sur moi… », p.77. Ceci témoigne que c’est par le sens que les villageois habitent et s’approprient leur milieu de vie.

Par la suite, l’écrivain met en exergue le rapport essentiel entre le déboisement, l’érosion, l’appauvrissement des terres agricoles, la sécheresse, et conséquemment la misère. Manuel avance : « Ce sont les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent : ce sont les manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur de midi. C’est comme ça et pas autrement, sinon la pluie écorche la terre et le soleil l’échaude : il ne reste plus que les roches. », p.44. Ce faisant montre que, pour le narrateur l’environnement est un système. Et c’est cette compréhension de la part de Manuel qui lui a permis de trouver l’eau et même d’en apprécier la quantité. Plus loin, le garçon de Bien-aimé avait souligné que « la terre est dans la misère, la terre est dans la douleur […] les érosions ont mis à nu de longues coulées de roches : elles ont saigné la terre jusqu’à l’os », p.20, à cause « [qu’] ils avaient incendié le bois pour faire des jardins de vivres », p.21.

En outre, l’auteur nous montre la nécessité de penser ensemble la préservation de l’environnement avec les luttes pour l’égalité et la liberté d’un peuple. En effet, il nous raconte comment l’état écologique d’Haïti demeure étroitement lié à l’issue de la misère endémique des habitants et l’affranchissement des manières d’asservissement postcoloniales. Du reste, il insiste sur le fait que c’est en développant une conscience collective humaniste que nous parviendrons à bien gérer l’environnement. Rappelons-nous une déclaration faite par Manuel à la page 63. « On a fini par séparer la terre, [..]. Mais on a partagé aussi la haine. ».

Le grand mérite de Roumain est qu’il était en avance sur sa génération. Son ouvrage porte déjà l’empreinte d’un discours écologique ; pendant que l’écologie en tant que discipline scientifique va s’émerger près de vingt après, dans les années soixante, avec le texte « Le printemps silencieux » de Rachel Carson. Ensuite, Roumain nous a prévenus d’un problème crucial qui risque de détruire notre écosystème. Le fléau de la déforestation. Et comme l’amoureux d’Annaïse l’a signalé à maintes fois, c’est la fabrication du charbon de bois qui est la cause primordiale de la déforestation du pays. L’avenir aura donné pleinement raison au littérateur : de 1940 à 2022, la couverture forestière d’Haïti est passée de 40% à 2%. Bien que Jameson Francisque (2020), dans un article réalisé, ait démontré que le pourcentage de 2% est faux. Et comme l’a si bien imaginé le narrateur, la déforestation va justement causer le problème de la disponibilité de l’eau dans la République. D’après Gautheret (2010), « En raison de la déforestation, le problème de l’eau est permanent à Haïti : durant la saison des pluies, l’eau est dévastatrice puis, durant la saison sèche, elle manque cruellement ». Pendant que « À Fonds-Rouge comme ailleurs, la question de l’eau, c’est la vie ou la mort, la salvation ou la perdition », p.59, d’après Manuel et qui demeure une déclaration irréfutable. Ainsi recommande-je vivement mes concitoyens à méditer sur ce texte.

 

Jonathan GÉDÉON, étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables.

Tags

Enregistrer un commentaire

0Commentaires
Enregistrer un commentaire (0)