Ce roman met en
scène les liens inextricables entre les êtres humains et l’environnement.
D’entrée de jeu, le titre du roman, de traduction créole « Mѐt lawouze
» est une preuve de la définition anthropocentrique dont revêt l’environnement
pour le romancier. Dans le corps du texte, le personnage principal pose la
question : « Le café, le coton, le riz,
la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres et tous les fruits, si ce
n’est pas nous, qui les fera pousser », (Les Éditions Fardin, 2007, p.77),
afin de montrer la prépondérance des êtres humains sur ceux naturels. Il a
ajouté « Nous sommes ce pays et il n’est
rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui
est-ce qui récolte ? », ibid. et « […] c’est
le propre vouloir du nѐgre […] de dompter […] la terre », p.55. On a vu aussi que le
protagoniste revendique la terre comme étant la sienne. Voici ce qu’il a dit à
ce propos. « Je suis ça : cette terre-là, et je l’ai dans le sang. Regarde ma
couleur : on dirait que la terre a déteint sur moi… », p.77. Ceci témoigne
que c’est par le sens que les villageois habitent et s’approprient leur milieu
de vie.
Par la suite,
l’écrivain met en exergue le rapport essentiel entre le déboisement, l’érosion,
l’appauvrissement des terres agricoles, la sécheresse, et conséquemment la
misère. Manuel avance : « Ce sont
les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent : ce sont les
manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies
pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur de midi. C’est comme ça
et pas autrement, sinon la pluie écorche la terre et le soleil l’échaude : il
ne reste plus que les roches. », p.44. Ce faisant montre que, pour le
narrateur l’environnement est un système. Et c’est cette compréhension de la
part de Manuel qui lui a permis de trouver l’eau et même d’en apprécier la
quantité. Plus loin, le garçon de Bien-aimé avait souligné que « la terre est dans la misère, la terre est
dans la douleur […] les érosions ont
mis à nu de longues coulées de roches : elles ont saigné la terre jusqu’à l’os
», p.20, à cause « [qu’] ils avaient
incendié le bois pour faire des jardins de vivres », p.21.
En outre,
l’auteur nous montre la nécessité de penser ensemble la préservation de
l’environnement avec les luttes pour l’égalité et la liberté d’un peuple. En
effet, il nous raconte comment l’état écologique d’Haïti demeure étroitement
lié à l’issue de la misère endémique des habitants et l’affranchissement des
manières d’asservissement postcoloniales. Du reste, il insiste sur le fait que
c’est en développant une conscience collective humaniste que nous parviendrons
à bien gérer l’environnement. Rappelons-nous une déclaration faite par Manuel à
la page 63. « On a fini par séparer la
terre, [..]. Mais on a partagé aussi la haine. ».
Le grand mérite
de Roumain est qu’il était en avance sur sa génération. Son ouvrage porte déjà
l’empreinte d’un discours écologique ; pendant que l’écologie en tant que
discipline scientifique va s’émerger près de vingt après, dans les années
soixante, avec le texte « Le printemps
silencieux » de Rachel Carson. Ensuite, Roumain nous a prévenus d’un
problème crucial qui risque de détruire notre écosystème. Le fléau de la
déforestation. Et comme l’amoureux d’Annaïse l’a signalé à maintes fois, c’est
la fabrication du charbon de bois qui est la cause primordiale de la
déforestation du pays. L’avenir aura donné pleinement raison au littérateur :
de 1940 à 2022, la couverture forestière d’Haïti est passée de 40% à 2%. Bien
que Jameson Francisque (2020), dans un article réalisé, ait démontré que le
pourcentage de 2% est faux. Et comme l’a si bien imaginé le narrateur, la
déforestation va justement causer le problème de la disponibilité de l’eau dans
la République. D’après Gautheret (2010), « En
raison de la déforestation, le problème de l’eau est permanent à Haïti : durant
la saison des pluies, l’eau est dévastatrice puis, durant la saison sèche, elle
manque cruellement ». Pendant que « À
Fonds-Rouge comme ailleurs, la question de l’eau, c’est la vie ou la mort, la salvation
ou la perdition », p.59, d’après Manuel et qui demeure une déclaration
irréfutable. Ainsi recommande-je vivement mes concitoyens à méditer sur ce
texte.
Jonathan GÉDÉON,
étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables.