SOCIETE: Agissons d’abord pour le collectif comme l’a si bien souhaité Jacques Roumain dans “Gouverneurs de la rosée "

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La solidarité est une marque de fabrique de la société haïtienne. Sans cette valeur humaniste partagée par nos compatriotes, la misère sera plus atroce sur le territoire. Car, c’est à la merci de la diaspora que de milliers d’haïtiens arrivent à survivre. Et d’autres qui n’ont pas de proches à l’étranger sont supportés par des concitoyens vivant en Haïti. À rappeler que le taux de chômage en Haïti, même s’il est estimé depuis fort longtemps par les autorités centrales, est vraisemblablement à un niveau record. D’ailleurs, un chiffre du gouvernement en décembre 2020, mentionné dans le document Plan de relance économique Post-Covid-19, a révélé qu’à l’époque le taux de chômage en Haïti était déjà de 30%. Un chiffre que nous devons prendre avec des pincettes! Quant à ceux qui travaillent, nous savons que beaucoup d’entre eux sont dans le chômage déguisé. Puisque le revenu qu’ils perçoivent ne leur permet pas de répondre même à leurs besoins de base. Ainsi, c’est grâce à la solidarité que le peuple haïtien arrive à subsister.



Cet esprit de vivre ensemble paraît beaucoup plus bénéfique dans le milieu rural. Puisque cette partie du territoire n’a jamais été prise en considération par l’État haïtien. Ce sont les habitants eux-mêmes, dans la majeure partie des cas, qui s’organisent pour faire des routes, des centres de santé, des marchés, etc. Le coumbite est un exemple éloquent de la solidarité que partagent les haïtiens. Malheureusement, nous pouvons constater que cette valeur d’entraide se veut réduite de manière considérable dans le pays, surtout dans le milieu urbain. Les haïtiens se montrent de moins en moins solidaires. Ceci laisse la voie libre à certaines dérives dans la société. D’où, c’est le moment pour nous de réapproprier les leçons de solidarité que le grand écrivain Jacques Roumain nous a laissées.

Gouverneurs de la rosée, l’œuvre majeure de Roumain dans la littérature haïtienne, est apparu en décembre 1944, soit quatre mois après la mort de l’auteur, à Port-au-Prince, dans les soins de l’imprimerie de l’État. Ce texte constitue l’aboutissement d’un cheminement entrepris tantôt. Précisons que ce titre est apparu récursivement dans des écrits antérieurs de l’auteur et sa démarche reste la même : décrire et dénoncer avec justesse la souffrance du peuple liée au contexte politico-économique d’Haïti dans les années qui succèdent l’occupation étasunienne du pays. Toutefois, le roman va au-delà d’une telle récupération politique, en ce sens qu’on peut très bien l’interpréter comme une allégorie de la condition humaine en général. Traduit en plus de vingt langues, ce récit occupe une place de taille dans la littérature mondiale.

Dans ce roman est racontée l’histoire de Manuel qui, après avoir passé quinze ans à Cuba pour du travail, revient au pays natal, plus précisément au village Fonds-Rouge. En y arrivant, il a constaté que la zone était ravagée par la sécheresse et était divisée par la rivalité qui existait entre les familles, jadis en harmonie. Tout d’un coup, il va se donner pour mission de parvenir à la réunification de tous les foyers et de découvrir une source d’eau afin de faire renaître la vie dans la communauté. Il se lance dans cette quête avec Annaïse (la fille de la famille rivale qui va devenir son adjuvante) pour faciliter la réconciliation. La source d’eau est finalement retrouvée après de durs labeurs du garçon de Bienaimé. Mais hélas pour cet homme si courageux, il va être assassiné par son ennemi et rival juré Gervilen. Malgré le personnage principal du récit allait mourir, son rêve devient une réalité. La réconciliation, la joie et la gaité vont faire leur retour pour la plus belle à Fonds-Rouge après que l’eau est amenée grâce au concours de tout un chacun.


Roumain, de par ce roman, nous invite à penser d’abord pour le collectif. D’emblée, la teneur du titre par rapport au déroulement du récit fait ressortir cet esprit de convivialité. En effet, il est superflu de montrer que s’il y a à retenir le nom d’une personne qui permet le retour de l’eau à Fonds-Rouge, le choix ne serait autre que Manuel. D’ailleurs, les autres habitants ne font que prier pour espérer un changement de décor dans la localité. Comme qui dirait, ce ne serait pas incompréhensible de la part de l’auteur s’il avait mis de préférence « gouverneurs » au singulier associé à un déterminant défini pour se référer uniquement au sauveur de la zone qui est Manuel. Puisque l’apport des autres, certes était indispensable, mais était arrivé au dernier moment. En dépit de tout, Roumain considère tous les villageois, sans distinction aucune, comme ceux qui commandent la nature.

Par la suite, l’attitude de Manuel est aussi un vibrant appel à la solidarité. Cet homme, ayant constaté cette calamité naturelle, pourrait choisir de retourner à Cuba. Pourtant, il a décidé le contraire. Sans trouver une aide considérable auprès des autres (à l’exception de sa mère et de sa fiancée), il marche seul avec opiniâtreté dans les mornes afin de trouver l’eau. Et en la découvrant, il ne la dispose pas comme étant la sienne. Il ne fait pas l’idée de ne percevoir aucune somme de la part des paysans pour qu’ils puissent en avoir accès. Bien au contraire, il croit que c’est un devoir qu’il a accompli. Vu que pour le protagoniste du roman, il existe un rapport étroit entre la responsabilité de tout être humain et le sens de la vie. Dans cet ordre d’idées, il affirme à Annaïse : « Oh sûr, qu’un jour tout homme s’en va en terre, mais la vie elle-même, c’est un fil qui ne se casse pas […] Parce que, chaque nègre pendant son existence y fait un nœud : c’est le travail qu’il a accompli et c’est ça qui rend la vie vivante dans les siècles des siècles : l’utilité de l’homme sur cette terre. », (Roumain, 2007 :117).

Et même après avoir reçu le coup de Gervilen qui va lui coûter sa vie, il a continué mordicus à demander à sa mère d’aller rencontrer les autres familles pour leur insister de se réconcilier. Tout en agonie, il interdit sa mère de ne pas dévoiler l’identité du criminel dans l’ultime intention de préserver l’eau. Délira, de son côté, au lieu d’être animée par l’esprit de vengeance, va poursuivre cette leçon de solidarité reçue auprès de son fils en réunissant les citoyens de la localité en vue de leur communiquer le message de paix et d’harmonie laissé par Manuel. Et elle demande à Annaïse d’aller montrer la source à eux. Car, Délira comprend bien qu’« Il n’y a qu’un seul moyen de nous sauver […] : c’est pour nous de refaire l’assemblée des travailleurs de la terre […] de partager notre peine et notre travail entre camarades et camarades », p.128.

Par ailleurs, Manuel de son vivant faisait la promotion pour le coumbite - travail collectif qui demande la participation de tout le monde.  Il montre que la force des individus demeure dans leur collectivisme alors que l’individualisme rend impuissant sur divers aspects. C’est précisément ce qu’il veut dire quand il déclare ce qui suit : « L’un a besoin de l’autre. L’un périt sans le secours de l’autre […] Ce qu’une main n’est pas capable, deux peuvent le faire. », p.128 et 152. Puisque, avance le narrateur, « Nous sommes une force, […] : tous les habitants, […]. », p.77. En définitive, il semble bien que ce roman mérite d’être lu par tous les Haïtiens à un moment où la nation est déchirée en mille morceaux et à une époque où le sens civique est quasi-absent chez nos compatriotes. Puisque, à bien lire ce récit, nous allons comprendre que l’un ne va pas sans l’autre. D’où, c’est purement dans la solidarité que nous pouvons solutionner nos problèmes.

 

                                       Jonathan GÉDÉON,  étudiant finissant en Sciences Comptables et en                                                 Sciences Économiques.

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