Sous la direction du professeur Franck Séguy, docteur
en sociologie, l’étudiant Mardochée Gédéon avait défendu avec brio son mémoire
de sortie en vue de l’obtention du grade de licencié en sociologie à la Faculté
des Sciences Humaines le 10 mai 2022. Son mémoire est intitulé: Vers une
compréhension de la violence armée dans les bidonvilles de l’aire
métropolitaine de Port-au-Prince. Le cas du bidonville de Cité de l’Eternel. Un
travail dont la pertinence, la cohérence et la rigueur rédactionnelle étaient
évoquées par les membres du jury.
Gédéon lui-même, donne la parole aux acteurs de la violence (les gangs). Ceci
nous permet de voir, à travers leurs dires, leurs motivations et le sens qu’ils
visent subjectivement par leurs actions. À noter que l’auteur du mémoire nous
dit qu’il habite depuis sa naissance dans un bidonville de l’aire
métropolitaine. Cela sous-entend qu’il avait déjà des compréhensions très
sensées sur le sujet avant même de consulter des documents.
La recherche de l’auteur est divisée en six chapitres,
répartis en deux grandes parties. Une première conceptuelle -les trois premiers
chapitres- qui comporte le cadre général du travail (problématique, cadre
théorique, conceptuel et méthodologique) et une deuxième partie qui fait un
survol socio-historique de la bidonvilisation du pays et qui présente une
analyse sociologique des informations recueillies lors des entretiens. Par
ailleurs, l’étudiant se donnait pour objectifs: d’analyser les mécanismes utilisés
par les groupes armés afin d’asseoir leurs autorités dans les bidonvilles du
pays, d’analyser les conditions structurelles de la production de la violence
armée et d’étudier les caractéristiques de la violence armée dans l’aire
métropolitaine de Port-au-Prince.
Le mémoire est inscrit dans une démarche qualificative
et adopte le paradigme compréhensif comme posture épistémologique qui, nous dit
l’auteur, vise à saisir les motivations et le sens que des agents sociaux donnent
à une activité acquérant une raison significative compréhensible. Ainsi, il
opte pour l’étude de cas comme choix méthodologique et fait choix de
l’entretien semi-directif, de l’observation directe et de l’analyse de contenu comme
méthodes de construction du matériel empirique.
La considération faite par l’étudiant de la violence
armée est que cette dernière est celle criminelle exercée intentionnellement
par les gangs ou un membre de gang contre un individu ou un groupe d’individu
selon des motifs divers. Pour la définition de la violence, l’auteur fait le
sien celle proposée par le philosophe Yves Michaud stipulant: Il y a violence
quand, dans une situation d’interaction, un ou plusieurs acteurs agissent de
manière directe ou indirecte, massée ou distribuée, en portant atteinte à un ou
plusieurs autres, à des degrés variables, soit dans leur intégrité physique,
soit dans leur intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs participations
symboliques et culturelles. Il poursuit son cadre théorique en passant en revue
les considérations des sociologues classiques Karl Marx, Emile Durkheim, Max
Weber, Pierre Bourdieu, Ernest Watson Burgess, Alfred Coser et Michel
Wierviorka autour du dernier concept en question en vue de montrer son exhaustivité.
Quant à la notion gang, Gédéon la considère comme un
regroupement armé plus ou moins structuré et hiérarchisé qui a une certaine
pérennité, composé d’un nombre limité de jeunes partageant des règles
relativement bien définies et des identités communes, contrôlant un territoire et
exerçant régulièrement des activités illicites, criminelles et violentes dans
la rue. Plus loin, l’auteur démontre que le gang est un phénomène social urbain
avant d’évoquer les approches explicatives de Patrice Corriveau et de Michel Dorais
comme les lignes directrices de sa recherche. L’étudiant va ensuite citer une
partie des explications de Corriveau énonçant que “Le gang apparait alors comme
un lieu compensatoire d’intégration. Appartenir à un gang s’avère un gage de
respect et de reconnaissance par les pairs, tout en permettant parfois des
gains financiers non négligeables par l’entremise de la commission de certaines
activités illicites.”
Pour en finir, le néo-sociologue allait définir un
cadre analytique sur les bidonvilles. Il décrit le bidonville comme un ensemble
d’habitations précaires très denses caractérisées par un accès limité aux
services sociaux de base, une absence d’infrastructures et un statut
juridico-foncier illégal. Et il s’est servi des travaux de Jean Goulet sur la
thématique comme fil conducteur de son étude. Car, Goulet met en relief le fait
que “ Le bidonville abrite une société structurée qui a ses propres règles, ses
propres codes, ses propres modes de fonctionnement. L’anarchie n’est qu’apparente
et témoigne simplement de l’incapacité ou des difficultés pour les observateurs
externes au bidonville de comprendre et de saisir les règles en vigueur.”
Dans le chapitre 5, l’auteur nous montre comment les
gangs arrivent à émerger et à se faire accepter à Cité de l’Eternel. Il
s’ensuit pour présenter les conditions structurelles dans lesquelles s’établit
cette violence. Puisque, selon lui, la violence armée n’est pas un phénomène
isolé du reste de la société à laquelle la violence semble inhérente. Il termine
ce chapitre en montrant que l’action des gangs dans les bidonvilles remplace
l’inaction de l’État.
Après avoir démontré au dernier chapitre (chapitre 6)
que la violence des gangs traduit une quête d’un capital économique et d’un
capital symbolique, le jeune licencié aboutit, sans aucune ambiguïté, à la
conclusion que la violence des gangs est une réponse à une “mort sociale”. Selon
lui, “Les gangs, quoique leurs activités soient destructrices, voire
autodestructrices, constituent un moyen pour des jeunes d’avoir un mode de vie
alternatif les permettant d’avoir une meilleure condition de vie, de
s’affirmer, de se faire respecter, c’est-à-dire d’être valorisé, reconnu, en
bref, d’être visible et parvenu à une réalisation de soi.”
Jonathan Gédéon, étudiant finissant en Sciences
Économiques et en Sciences Comptables.