SOCIETE: Quels sont les rôles de la femme dans le roman "Gouverneurs de la rosée"?

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        Plusieurs figures féminines peuplent ce roman. Les unes plus importantes que les autres. Si on prendrait Délira et Annaïse, elles ont bien évidemment un rôle beaucoup plus croissant que celui joué par les autres femmes. D’ailleurs on pourrait considérer les deux femmes précitées comme étant les deux héroïnes du roman. La présence des femmes dans le chef d’œuvre de Roumain n’est pas quelque chose particulière. Vu que les écrivains haïtiens, surtout ceux dont le romancier est hérité ont toujours donné une place centrale aux personnages féminins dans leurs écrits ; même si c’est pour les exalter, les comparer avec des fleurs ou pour vanter la douceur de leurs parties intimes. Néanmoins, on pouvait s’attendre que la génération d’écrivains de l’époque de Roumain allât donner plus d’importance aux créatures féminines dans leur écrit. Vu qu’à l’époque il y avait un féminisme en construction dans le pays. La création en 1934 de la Ligue Féminine d’Action Sociale faisait montre de cette détermination des femmes de la période pour changer leur image au sein de la société.

Étant un communiste et ayant vécu l’éclosion du mouvement féministe en Haïti, comment l’auteur représente-il la femme dans son œuvre ? Transmet-il ce qu’il a pu constater dans la société dans le roman ou il essaie de construire une autre perception autour de l’être féminin ? Quels rôles les femmes au foyer ont-elles joués dans le récit? Dans les propos qui suivent, nous présenterons la responsabilité commune qu’ont les femmes dans leur maison et envers leur mari.

Les femmes ne s’occupent presque des tâches domestiques

Le poids des responsabilités familiales ne repose que sur le dos des femmes. C’est qu’elles étaient les premières à savoir qu’il n’y avait rien à mettre sur le feu, que les enfants pleuraient de faim, qu’ils dépérissaient, les membres grêles et noueux comme du bois sec, le ventre énorme, selon ce que le narrateur nous raconte à la page 81 (Roumain, Jacques, Gouverneurs de la Rosée, Port-au-Prince, Les Editions Fardin, 2007). Tout au long de l’histoire, le romancier nous rapporte toujours que ce sont les femmes qui s’occupent de la nourriture, du lavage des assiettes et de la lessive pour le foyer. À maintes reprises, on a constaté que c’étaient toujours les femmes, soit Délira, soit Annaïse ou bien leurs voisines qui s’occupent de ces fonctions.  Ce sont elles qui ont la tâche d’aller vendre les produits agricoles dans le marché. Et en retour, elles apportent des provisions et de la monnaie pour la survie de la famille. Ces êtres humains sont responsables d’aller chercher de l’eau pour apporter dans la maison. Et ce sont eux qui assurent le commerce détaillant. À ce stade, on pourrait songer à Florentine, la femme de l’officier de la police rurale, à savoir Hilliaron. Florentine possède une boutique dans la localité dans laquelle elle vend du clairin, du gaz, etc. Celles qui ne veulent pas s’occuper de ces tâches dans leur propre maison, vont les assurer chez les mulâtres, d’après ce que nous a appris Délira lorsqu’elle essayait de vanter pour Manuel la bonté de sa future fiancée.

L’homme et la femme : deux êtres complémentaires

Le fait que ce sont les êtres féminins qui se chargent des tâches ménagères ne veut pas dire pour autant qu’ils sont inférieurs à ceux masculins au sens large. Suivant l’enchaînement du récit, c’est plutôt une division du travail qui explique cet état de fait. L’homme étant reconnu fort corporellement prend en charge les fonctions qui demandent plus de débauche physique. La femme étant considérée comme un être faible corporellement assure les rôles les moins exigeants du point de vue physique. On ne peut démentir le fait que dans le récit aucune femme ne s’est jamais occupée de jardin, ni de couper de bois pour faire du charbon. Cependant on a pu relever que ce sont les femmes qui préparent de la nourriture pour les hommes qui travaillent dans le coumbite. Parfois, elles distribuent du manger à des voisins. Ce qui contribue à renforcer leur lien communautaire. Elles sont aussi très actives dans les cérémonies de vodou, de l’étape de la préparation jusqu’à la réalisation. Enfin, les femmes entretiennent de très bons rapports avec les hommes.  Elles sont là pour convaincre parfois ces derniers vu qu’elles sont plus tenaces.

Contrairement avec la vieille pensée qui veut faire croire que les femmes ne sont pas trop engagées dans les choses publiques, Roumain nous montre bien le contraire. Toutes les femmes ont eu une contribution, directe ou indirecte, dans le processus d’amener de l’eau à

Fonds-Rouge. Déjà, tout au début du roman, l’auteur nous montre que Délira était consciente de la misère qui empare la région. Certes elle a préféré de compter sur les dieux, mais c’est la preuve qu’elle a voulu que les choses changent à Fonds-Rouge. Les autres femmes aussi montrent leur volonté de donner leur participation pour le bien-être de leur communauté. D’ailleurs elles étaient très hostiles envers leur mari pour leur convaincre à l’idée de réconciliation qu’est l’ultime décision à prendre pour délivrer leur zone.

L’être féminin était présenté comme un bon compagnon pour l’homme. La promesse faite par Annaïse à son copain en est une bonne illustration. “Oui, je serai la maîtresse de ta maison. Je sèmerai tes champs, et je t’aiderai à rentrer la récolte. Je sortirai dans la rosée, au lever du soleil pour cueillir les fruits de notre terre j’irai dans le serein du soir voir si les poules reposent dans les branches des arbres, si la bête sauvage et vorace ne les a pas enlevées.

J’apporterai au marché notre maïs et nos vivres.”, promet-elle à la page 119. L’être féminin est là aussi pour aider celui masculin à avoir de la joie. Il aide l’homme à corriger leur mauvais caractère ou comportement. Et en dernier ressort, il est là pour satisfaire les désirs sexuels des hommes.

La femme comme étant un être subalterne

À l’inverse de l’idée que nous venons de défendre, les mots de révérence que les femmes ont utilisés pour appeler leur mari nous montrent que les êtres féminins sont placés sous l’autorité de ceux masculins. À maintes fois, on a vu que les femmes ont appelé leur semblable papa ou maître. Or, connaissant la réalité de notre société, celui qui emploie ces deux derniers termes fait référence à un donneur d’ordre, un imposant, un leader qui plane au-dessus d’une famille pour le cas du papa, ou d’une classe ou d’un tribunal pour le mot maître. Allons-nous voir quelques illustrations dans le corps du livre qui appuient cette thèse. Oui, Bienaimé, s’empressa Délira, oui papa, je vais aller tout de suite. p.132. Vous êtes les maîtres, vous autres les hommes, déclare Mariana, la femme de Josapha. p.142. Je me mettrai à genoux, s’il le faut, devant mon vieux Bienaimé, avoue Délira. p.132. À ton service, mon maître, parce que je serai la servante de ta maison, dit Annaïse à son futur fiancé.

Et l’auteur, et les hommes et les femmes sont conscients que ces dernières sont plus vulnérables que leur époux et elles sont la proie de la misère et de la violence des hommes. Les déclarations ci-après, retrouvées dans le roman, en sont des preuves. Et la terre avait répondu : c’est comme une femme qui d’abord se débat, mais la force de l’homme, c’est la justice, alors, elle dit : prends ton plaisir…p.21. Femme-la dit, mouché, pinga ou touché mouin, pinga-eh (La femme dit : Monsieur, prenez garde -à ne pas me toucher, prenez garde. Traduction de l’auteur). p.23. Les femmes pleurent et les hommes vont en silence. p.178. [La négresse de Louisimé Jean Pierre dit à lui], comme quoi les dents pourries n’ont de force que sur les bananes mûres, comme l’a si bien aussi pensé l’auteur, ce qui voulait dire qu’il ne la traitait ainsi que parce qu’elle était une femme faible et sans défense. p.142. À rappeler que cette déclaration vient tout juste au moment où Louisimé […] avait même fait le geste d’imposer silence à sa négresse déchaînée d’une calotte bien appliquée […]. p.141.

Les femmes avaient de la difficulté de faire respecter leurs droits. On pourrait prendre comme exemple le cas où Annaïse ne voulait plus rester toute seule dans le jardin avec Manuel. Malgré l’insistance de la négresse, ce dernier a attendu de voir les larmes de la jeune fille avant qu’il ait lâché ses mains. Cet exemple veut tout dire lorsqu’on a vu toute la sagesse de Manuel. Si ce gars si exemplaire a agi de cette façon, que pouvons-nous espérer de la réaction des autres à l’égard de leur épouse ?

L’abus des êtres masculins sur ceux féminins n’est pas exécuté seulement dans le foyer, mais aussi dans les espaces publics. Rappelons-nous les péripéties que Délira nous raconte que les femmes passaient dans le marché. Les inspecteurs des marchés, postés aux abords de la ville, s’abattaient sur les paysannes et les volaient sans pitié. p.75. Ils collectaient de la taxe sur elles tout en les injuriant. Ces dernières ont souvent été contraintes de payer beaucoup plus que le montant dû sous la menace d’être emprisonnée, nous dit Délira avec peine. 

Les femmes savent qu’elles sont les esclaves sexuels des hommes. Les dires de Annaïse à Manuel sont très choquants. La nuit, je m’étendrai à tes côtés, tu ne diras rien, mais à ton silence, à la présence de ta main je répondrai : oui, mon homme, parce que je serai la servante de ton désir. p.119. Plus loin, après que Manuel vient de montrer la source à son amoureuse ; ils sont entrés dans des rapports sexuels sans la moindre réticence de la part de Annaïse. On peut interpréter cela de deux façons. Soit qu’elle a été envie de le faire. Ou du moins c’est parce qu’elle savait qu’elle ne doit jamais dire non à son amoureux en cas du besoin sexuel.

Néanmoins, le roman nous donne l’impression que les femmes n’étaient pas prêtes à tolérer tous les abus des hommes. À titre d’exemple, on peut se souvenir de la réaction de la femme de Louisimé Jean Pierre lorsque ce dernier l’a intimidée avec le geste d’une calotte. […] Celle-ci avait menacé de héler : “à l’assassin” et de crainte du scandale […]. p.75. Son énervement a permis à son mari de calmer. Manuel a aussi fait mention de façon implicite que les femmes ne sont pas prêtes à supporter tout. Mais la terre est comme une bonne femme, à force de la maltraiter, elle se révolte, p.44, dit Manuel à sa mère.

Nous devons nous approprier des réflexions que nos intellectuels nous ont laissées dans l’optique de mieux cerner certaines réalités que confronte notre société. Dans cet article, nous avons vu que pour Jacques Roumain, il y a une réelle harmonisation entre les rôles remplis par les hommes et ceux joués par les femmes. Ce récit peut constituer un guide pour tout courant féministe qui se veut être haïtien. Toutefois, il y a d’autres rôles intéressants que les femmes jouent dans le roman qui méritent d’être signalés. Par exemple, le rôle joué par Délira et Annaïse pour permettre à la communauté de Fons-Rouge de faire la paix. Cependant, afin que notre papier ne soit pas trop long, nous traiterons ces rôles dans un autre article, le prochain.


                      Jonathan Gédéon, 

étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables

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