Étant un communiste et ayant vécu
l’éclosion du mouvement féministe en Haïti, comment l’auteur représente-il la
femme dans son œuvre ? Transmet-il ce qu’il a pu constater dans la société dans
le roman ou il essaie de construire une autre perception autour de l’être
féminin ? Quels rôles les femmes au foyer ont-elles joués dans le récit? Dans
les propos qui suivent, nous présenterons la responsabilité commune qu’ont les
femmes dans leur maison et envers leur mari.
Les femmes ne s’occupent presque des tâches domestiques
Le poids des responsabilités familiales ne repose
que sur le dos des femmes. C’est qu’elles
étaient les premières à savoir qu’il n’y avait rien à mettre sur le feu, que
les enfants pleuraient de faim, qu’ils dépérissaient, les membres grêles et
noueux comme du bois sec, le ventre énorme, selon ce que le narrateur nous
raconte à la page 81 (Roumain, Jacques, Gouverneurs
de la Rosée, Port-au-Prince, Les Editions Fardin, 2007). Tout au long de
l’histoire, le romancier nous rapporte toujours que ce sont les femmes qui
s’occupent de la nourriture, du lavage des assiettes et de la lessive pour le
foyer. À maintes reprises, on a constaté que c’étaient toujours les femmes,
soit Délira, soit Annaïse ou bien leurs voisines qui s’occupent de ces
fonctions. Ce sont elles qui ont la
tâche d’aller vendre les produits agricoles dans le marché. Et en retour, elles
apportent des provisions et de la monnaie pour la survie de la famille. Ces
êtres humains sont responsables d’aller chercher de l’eau pour apporter dans la
maison. Et ce sont eux qui assurent le commerce détaillant. À ce stade, on
pourrait songer à Florentine, la femme de l’officier de la police rurale, à
savoir Hilliaron. Florentine possède une boutique dans la localité dans
laquelle elle vend du clairin, du gaz, etc. Celles qui ne veulent pas s’occuper
de ces tâches dans leur propre maison, vont les assurer chez les mulâtres,
d’après ce que nous a appris Délira lorsqu’elle essayait de vanter pour Manuel
la bonté de sa future fiancée.
L’homme et la femme : deux êtres complémentaires
Contrairement avec la vieille pensée qui veut
faire croire que les femmes ne sont pas trop engagées dans les choses
publiques, Roumain nous montre bien le contraire. Toutes les femmes ont eu une
contribution, directe ou indirecte, dans le processus d’amener de l’eau à
Fonds-Rouge. Déjà, tout au début du roman,
l’auteur nous montre que Délira était consciente de la misère qui empare la
région. Certes elle a préféré de compter sur les dieux, mais c’est la preuve
qu’elle a voulu que les choses changent à Fonds-Rouge. Les autres femmes aussi
montrent leur volonté de donner leur participation pour le bien-être de leur
communauté. D’ailleurs elles étaient très hostiles envers leur mari pour leur
convaincre à l’idée de réconciliation qu’est l’ultime décision à prendre pour
délivrer leur zone.
L’être féminin était présenté comme un bon
compagnon pour l’homme. La promesse faite par Annaïse à son copain en est une
bonne illustration. “Oui, je serai la
maîtresse de ta maison. Je sèmerai tes champs, et je t’aiderai à rentrer la
récolte. Je sortirai dans la rosée, au lever du soleil pour cueillir les fruits
de notre terre j’irai dans le serein du soir voir si les poules reposent dans
les branches des arbres, si la bête sauvage et vorace ne les a pas enlevées.
J’apporterai
au marché notre maïs et nos vivres.”, promet-elle à la page 119. L’être féminin est là aussi pour aider celui
masculin à avoir de la joie. Il aide l’homme à corriger leur mauvais caractère
ou comportement. Et en dernier ressort, il est là pour satisfaire les désirs
sexuels des hommes.
La femme comme étant un être subalterne
À l’inverse de l’idée que nous venons de défendre,
les mots de révérence que les femmes ont utilisés pour appeler leur mari nous
montrent que les êtres féminins sont placés sous l’autorité de ceux masculins.
À maintes fois, on a vu que les femmes ont appelé leur semblable papa ou
maître. Or, connaissant la réalité de notre société, celui qui emploie ces deux
derniers termes fait référence à un donneur d’ordre, un imposant, un leader qui
plane au-dessus d’une famille pour le cas du papa, ou d’une classe ou d’un
tribunal pour le mot maître. Allons-nous voir quelques illustrations dans le
corps du livre qui appuient cette thèse. Oui,
Bienaimé, s’empressa Délira, oui papa, je vais aller tout de suite. p.132. Vous
êtes les maîtres, vous autres les hommes, déclare Mariana, la femme de
Josapha. p.142. Je me mettrai à genoux,
s’il le faut, devant mon vieux Bienaimé, avoue Délira. p.132. À ton service, mon maître, parce que je
serai la servante de ta maison, dit Annaïse à son futur fiancé.
Et l’auteur, et les hommes et les femmes sont
conscients que ces dernières sont plus vulnérables que leur époux et elles sont
la proie de la misère et de la violence des hommes. Les déclarations ci-après,
retrouvées dans le roman, en sont des preuves. Et la terre avait répondu : c’est comme une femme qui d’abord se débat,
mais la force de l’homme, c’est la justice, alors, elle dit : prends ton
plaisir…p.21. Femme-la dit, mouché,
pinga ou touché mouin, pinga-eh (La femme dit : Monsieur, prenez garde -à ne
pas me toucher, prenez garde. Traduction de l’auteur). p.23. Les femmes pleurent et les hommes vont en
silence. p.178. [La négresse de Louisimé Jean Pierre dit à lui], comme quoi les dents pourries n’ont de force
que sur les bananes mûres, comme l’a si bien aussi pensé l’auteur, ce qui voulait dire qu’il ne la traitait
ainsi que parce qu’elle était une femme faible et sans défense. p.142. À rappeler que cette déclaration vient
tout juste au moment où Louisimé […] avait même fait le geste d’imposer silence
à sa négresse déchaînée d’une calotte bien appliquée […]. p.141.
Les femmes avaient de la difficulté de faire
respecter leurs droits. On pourrait prendre comme exemple le cas où Annaïse ne
voulait plus rester toute seule dans le jardin avec Manuel. Malgré l’insistance
de la négresse, ce dernier a attendu de voir les larmes de la jeune fille avant
qu’il ait lâché ses mains. Cet exemple veut tout dire lorsqu’on a vu toute la
sagesse de Manuel. Si ce gars si exemplaire a agi de cette façon, que
pouvons-nous espérer de la réaction des autres à l’égard de leur épouse ?
L’abus des êtres masculins sur ceux féminins n’est
pas exécuté seulement dans le foyer, mais aussi dans les espaces publics.
Rappelons-nous les péripéties que Délira nous raconte que les femmes passaient
dans le marché. Les inspecteurs des
marchés, postés aux abords de la ville, s’abattaient sur les paysannes et les
volaient sans pitié. p.75. Ils
collectaient de la taxe sur elles tout en les injuriant. Ces dernières ont
souvent été contraintes de payer beaucoup plus que le montant dû sous la menace
d’être emprisonnée, nous dit Délira avec peine.
Les femmes savent qu’elles sont les esclaves
sexuels des hommes. Les dires de Annaïse à Manuel sont très choquants. La nuit, je m’étendrai à tes côtés, tu ne
diras rien, mais à ton silence, à la présence de ta main je répondrai : oui,
mon homme, parce que je serai la servante de ton désir. p.119. Plus loin,
après que Manuel vient de montrer la source à son amoureuse ; ils sont entrés
dans des rapports sexuels sans la moindre réticence de la part de Annaïse. On
peut interpréter cela de deux façons. Soit qu’elle a été envie de le faire. Ou
du moins c’est parce qu’elle savait qu’elle ne doit jamais dire non à son amoureux
en cas du besoin sexuel.
Néanmoins, le roman nous donne
l’impression que les femmes n’étaient pas prêtes à tolérer tous les abus des
hommes. À titre d’exemple, on peut se souvenir de la réaction de la femme de
Louisimé Jean Pierre lorsque ce dernier l’a intimidée avec le geste d’une
calotte. […] Celle-ci avait menacé de
héler : “à l’assassin” et de crainte du scandale […]. p.75. Son énervement a permis à son mari
de calmer. Manuel a aussi
fait mention de façon implicite que les femmes ne sont pas prêtes à supporter
tout. Mais la terre est comme une bonne
femme, à force de la maltraiter, elle se révolte, p.44, dit Manuel à sa
mère.
Nous devons nous approprier des réflexions
que nos intellectuels nous ont laissées dans l’optique de mieux cerner certaines
réalités que confronte notre société. Dans cet article, nous avons vu que pour
Jacques Roumain, il y a une réelle harmonisation entre les rôles remplis par
les hommes et ceux joués par les femmes. Ce récit peut constituer un guide pour
tout courant féministe qui se veut être haïtien. Toutefois, il y a d’autres
rôles intéressants que les femmes jouent dans le roman qui méritent d’être
signalés. Par exemple, le rôle joué par Délira et Annaïse pour permettre à la
communauté de Fons-Rouge de faire la paix. Cependant, afin que notre papier ne
soit pas trop long, nous traiterons ces rôles dans un autre article, le
prochain.
Jonathan Gédéon,
étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables