Politique: Gangstérisation du pays: stratégie utilisée par le régime PHTK pour réprimer les manifestations populaires.

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Dans le numéro 153 de la revue FALMAG (France Amérique Latine Magazine), paru en avril 2023, l’historien et géographe Georges Eddy Lucien, professeur à l’Université d’État d’Haïtide concert avec le doctorant en sociologie Walner Osna, chargé de cours à l’Université d’Ottawa ont publié un articletitré « Gangstérisation du pays: du contrôle des territoires au démantèlement du mouvement social haïtien ». Dans ce papier, ces deux professeurs nous ont démontré que la gangstérisation de Port-au-Prince est le fruit d’une politique bien réfléchie par l’État, l’oligarchie locale, le Core group et leurs alliés pour contrôler le territoire et ainsi freiner les mouvements de protestation orchestrés dans le pays depuis les évènements des 6 et 7 juillet 2018.


Ces deux intellectuels ont débuté leur réflexion en rappelant la principale revendication soulevée par les haïtiens lors des séries de mobilisations réalisées depuis l’année 2018. Passant des soulèvements pour réclamer la baisse du prix des produits pétroliers, les protestations de ces dernières années sont intensifiées pour exiger un chambardement du système en place. Cette montée des mouvements populaires représente une menace pour le régime au pouvoir ainsi que le Core group(regroupement d’une série d’ambassades dans le pays, dont les États-Unis, la France, le Canada…) qui joue un rôle déterminant dans la politique interne du pays, refusant d’accepter le peuple souverain comme seul maître de son destin.”, ont-ils avancé.


De surcroît, ils ont repris des chiffres cités par certains organismes de droits humains, des journaux nationaux et étrangers qui montrent l’ampleur prise par la terreur des gangs armés au cours de ces dernières années. Dans cette lignée, ils ont noté qu’au cours de l’année 2020, le phénomène d’enlèvement a connu une augmentation de 200% pour enregistrer un total de 234. De plus, en février 2021, ils ont rapporté qu’on avait dénombré cinq enlèvements par jour en Haïti. Pour en finir, ils ont souligné le fait qu’entre 8 juillet et 31 décembre 2022dans le quartier de Brooklyn, à Cité Soleilon avait enregistré 263 personnes tuées, 264 autres blessées et 4 disparues, à côté des viols collectifs de dizaines de femmes et de jeunes filles et le déplacement de plusieurs centaines de personnes.

Par ailleurs, ils ont mentionné que ce sont les quartiers populaires qui ont porté le flambeau des mobilisations. Parmi ces quartiers, ils ont énuméré Martissant, Carrefour-Feuilles, Bel-Air, La Saline et Cité Soleil. La géographie des mouvements sociaux rime avec celle des bandits, ont-ils fait remarquer. Et ceci n’est pas un simple hasard ou une drôle coïncidence, d’après les auteurs de l’article. En effet, ils ont montré que le massacre de certains « territoires perdus » estsurvenu suite à des mécontentements exprimés par leurs habitants face à la mauvaise gouvernance de l’État. Comme exemple, ils ont relaté que le massacre de La Saline est arrivé suite à la participation des citoyens de La Saline aux manifestations du 17 octobre 2018. Et celui de Bel-Air est survenu en novembre 2019 en plein moment de peyi lòk”.



Pour justifier que ces massacres étaient des massacres d’État,ces deux intellectuels sont appuyés sur les dires de certaines organisations de droits humains et des citoyens pour montrerl’implication de quelques dirigeants étatiques dans ces tueries. Aux fins d’illustration, ils ont cité le cas du ministre d’alors de l’Intérieur et des collectivités territorialesqui serait épinglé dans le massacre de La Saline. Il s’agit de M. Fednel Monchéry, même si son nom n’a pas été cité par les auteurs de l’article. Un autre nom qui n’a pas été mentionné dans ce papier, mais qui mérite d’être signalé, c’est bien MJoseph Pierre Richard Duplan, un ancien maire de Port-au-Prince, un ancien délégué départemental de l’Ouest, qui aurait remis des uniformes de la police à des groupes de gangs pour aller faire de l’exaction à La Saline, selon ce qu’a révélé le journal américain Miami HéraldAussi, il faut se rappeler qu’un fusil d’assaut Galil de la Police Nationale d’Haïti (PNH), attribué au Palais national, avait été utilisé dans le massacre, selon les enquêteurs de la DCPJ (Direction Centrale de la Police Judiciaire).

Le ministre Monchéry aurait engagé un chef de gang pour semer de la terreur dans l’aire métropolitaine et prendre le contrôle de Bel-Air, ont-ils indiqué en reprenant les résultats d’une enquête menée par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). Qui plus est, ils ont attiré notre attention sur le fait que des bandits ont l’habitude d’utiliser des chars blindés de la police nationale, des voitures officielles et/ou de service de l’État pour opérer en toute quiétudeEt le pis cas, selon ces deux chercheurs, c’était le regroupement de 9 gangs très actifs dans l’agglomération de la capitale, le 10 juin 2020, sous la bénédiction du CNDDR (Commission Nationale de Désarmement, de Démantèlement et de Réinsertion Sociale). À rappeler que cette fédération des gangs a été applaudie par Madame Helen Meagher La Lime,la responsable d’alors du BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti). Selon ces professeurs, cette initiative de fédérer les gangs semble bien être l’œuvre de l’ancien président Jovenel Moïse.



L’équipe PHTK (Parti Haïtien Tèt Kaleutilise les bandits pour banaliser, dénaturer la lutte du peuple souverain, telle était la thèse soutenue par les auteurs de l’article. Les gouvernements de ce régime ont demandé à ces malfratsd’être présents dans des manifestations afin d’envoyer un signal à l’Internationale pour criminaliser les mouvements populaires, ont-ils expliqué. À cet effet, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies avait déclaré que c’étaient les gangs qui foulaient le macadam pour protester contre la hausse du prix des produits pétroliers. Ainsi, effectivement, la gangstérisation du pays tend à criminaliserles protestations de la masse, comme l’ont prétendu les deux chargés de cours. Les deux autres fonctions que remplissent les gangs selon ces deux chercheurs sont: jouer un rôle de censeur en sanctionnant les habitants qui, sans leur aval, participent dans des mobilisations populaires et empêcher la rencontre fort importante entre les organisations progressistes et les habitants des quartiers populaires.




Avant de conclure, les auteurs de l’article ont soulevé le fait que la gangstérisation du territoire national n’a pas que des enjeux politique et social. Elle a également un enjeu économique. Car, le marché des armes est très florissant. Et la plupart des armes à feu et munitions en Haïti proviennent des États-Unis, notamment de la Floridesi l’on croit ces professeurs. Des armes de poing vendues entre 400 et 500 dollars aux États-Unis sont revendues jusqu’à 10 000 dollars en Haïti, nous ont-ils confié en référence à une étude récente de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime(ONUDC).



La gangstérisation a quand même des limites, selon ces intellectuels. Puisqu’elle n’arrive pas à maîtriser complètement les mouvements populaires. Conscients de l’importance de ces mouvements, M. Lucien et M. Osna ont conclu leur analyse en exhortant les structures progressistes de mieux s’organiser, d’envisager une réponse collective et progressiste à la situation prévalant dans le pays, de rendre de la nécessité, plus généralement de la construction de la résistance au système capitaliste, de la création du pouvoir par le bas et de la possibilité du Grand Soir.



 

Jonathan GÉDÉON, Étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables

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