LES COLLECTIVITES TERRITORIALES N’ONT PAS LES MOYENS DE LEUR POLITIQUE : Cas de Brenord Dorismond, président du CASEC de la 3ème section communale de Tiburon, lynché le 5 avril 2020.

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La décentralisation et les collectivités territoriales prennent leur place, petit à petit, depuis la période post-duvaliériste, dans l’agencement du Pouvoir public en Haïti. Ce modèle fait l’obligation à l’Etat de déléguer des compétences à d’autres entités politico-administratives en vue d’une nouvelle orientation de la politique, foncièrement, centraliste vers un modèle participatif  incluant la gouvernance locale. À travers ce nouveau paradigme qu’est la démocratie participative, la quête du bien-être collectif nécessite une participation citoyenne active dans la mouvance politique et sociale de la communauté afin d’instituer un système démocratique équitable. D’où l’objectif phare de la Constitution de 1987. Celle-ci, dans son Article 87-4, stipule que la décentralisation doit être accompagnée de la déconcentration des services publics avec délégation de pouvoir et du décloisonnement industriel au profit des départements.[1] Toutefois, depuis environs trois (3) décennies, les collectivités territoriales végètent dans une monstre précarité, faute de moyens. Elles fonctionnent au gré du pouvoir central sans avoir la capacité de s’autofinancer afin de doter la population locale du minimum vital. Ne serait-ce pas une nécessité d’instituer un budget national regroupant l’Administration centrale et locale ? Tenant compte de cette prérogative constitutionnelle d’opter pour le développement national, tant désiré, à travers le régional et le local, jusqu’à quand l’autonomie des collectivités territoriales sera-t-elle effective ? Existe-t-il réellement une volonté politique pour y parvenir ? Avant d’aller plus loin, il est impérieux de situer notre analyse en établissant les points que nous allons aborder dans le cadre de ce travail. Cette analyse va surtout s’étendre, dans un premier temps, sur les principales attributions de la plus petite collectivité territoriale –la Section Communale-, au regard de la loi. Dans un second temps, nous pencherons sur les inadéquations de celle-ci par rapport aux faits actuels avec un accent particulier sur le cas de Brenord Dorismond, président du CASEC de la troisième section communale de sa commune, lynché à Tiburon dans la localité de « Gran Bouchi ».

En effet, en tant que personnes morales de droit public, les collectivités territoriales ont l’autonomie administrative et financière. Elles peuvent décider de la politique à appliquer dans le cadre du développement économique et sociale suivant les prescrits de la Loi.

En réalité, les Collectivités Territoriales, suivant la Commission Nationale à la Réforme Administrative (CNRA) de 1996 à 2002, sont « des Institutions Politico-Administratives Territoriales décentralisées dans l’État Unitaire Décentralisé d’Haïti. Ce sont des divisions territoriales décentralisées autonomes, d’essence participative concourant à l’exécution des politiques d’aménagement du territoire et à la gestion des Affaires Publiques. Elles constituent le cadre de mobilisation et de participation de leur population en vue de promouvoir le progrès social, économique et culturel. »[2]. La Constitution de 1987, quant à elle, définit trois niveaux de collectivités territoriales organisées suivant un principe d'emboîtement selon lequel, le Département est intégralement subdivisé en Communes et la Commune intégralement subdivisée en Sections communales. Cette dernière institution politico-administrative constitue le point de mire de notre analyse. Le décret du 1er février 2006, fixant le cadre général de la décentralisation de l’organisation et du fonctionnement des collectivités territoriales haïtiennes, article 6, la considère comme le premier cadre de regroupement, de mobilisation et de participation de la population. Elle est, aussi, le premier niveau de prise de décision collective et de prise en charge directe des services publics de proximité, de planification et de gestion des ressources locales.[3]

Dotée d’une telle importance, la plus petite entité territoriale administrative devrait se charger de la mise en application, en étroite collaboration avec les directions déconcentrées, d’une politique d’aménagement du territoire établie par les pouvoirs publics incluant les autres secteurs. Celle politique doit être élaborée suivant une approche globale en tenant compte des potentialités régionales et locales. La section communale, est administrée par un organe exécutif et un autre délibératif à savoir : le Conseil d’Administration de la Section Communale (CASEC) et l’Assemblée de la Section Communale (ASEC). Ces organes devraient jouer un grand rôle dans le processus du développement puisqu’ils ont une proximité avec la population locale. Donc, c’est au CASEC en tant qu’organe exécutif que revient la tâche d’élaborer un projet de budget de fonctionnement et de développement de la section communale. L’Article 40 du décret du 1er février 2006 a fait mention de onze (11) champs de compétences techniques des conseils exécutif s des collectivités territoriales dont la section communale à savoir : Le développement et l’aménagement du territoire ; la gestion du domaine foncier ; l’environnement et les ressources naturelles ; la santé et l’hygiène publique ; l’éducation, l’alphabétisation et la formation professionnelle ; la culture, les sports et les loisirs ; la protection civile, l’assistance et les secours ; les pompes funèbres et les cimetières ;.l’eau et l’électricité ; les marchés et les abattoirs et la sécurité publique.[4] Et il faut aussi signaler qu’elle a des compétences d’ordre fiscal (perception de taxes, amendes, et contraventions). Le CASEC comme tout autre conseil exécutif des collectivités territoriales a ses attributions pour l’émancipation effective de sa collectivité avec une contribution majeure dans le développement national.

Par ailleurs, la Loi accorde des attributions au CASEC dans le cadre de cette politique de décentralisation en vue d’améliorer les conditions de vie de la population locale. Cependant, le CASEC est confronté à des difficultés -manque de moyens matériels (d’infrastructures, d’équipements et des services), manque de moyens financiers (Budget de fonctionnement et d’investissement) et aussi manque de cadres compétents et qualifiés- l’empêchant d’assumer réellement ses responsabilités en tant qu’agent de développement. Il est en effet limité dans ses actions, voire contraint de rester inactif dans le cadre de ses attributions. C’est ainsi que Bobb Rousseau, dans son livre « La Section Communale dans le développement local (2017) », relate que « Bon nombre de CASEC n’ont pas les compétences appropriées pour l’élaboration d’un projet, d’administration et certains ignorent les attributions qui leur sont confiées par la loi. »[5]. Ces tristes réalités traduisent en terme clair la mauvaise gouvernance  locale. Sans  budget de fonctionnement, le CASEC est rémunéré par l’Administration centrale. Certaines sections communales n’ont même pas un poste de police, il s’agit donc d’une entité politico-administrative livrée à elle-même, sans autorité réelle. Comment peut-on dire, simplement, qu’une collectivité est détentrice de la puissance publique et autonome en matière administrative, financière sans une force contraignante à sa disposition ? Ne serait-ce pas une prétention spécieuse ?

D’autre part,  le 5 avril 2020 s’est ouverte une page sombre dans l’histoire des collectivités territoriales en Haïti. Ce jour-là, un membre du Conseil d’Administration de la Section Communale (CASEC) de la troisième section communale de Tiburon, de la localité de «Grand Bouchi», Brenord Dorismond, a été lynché, dans l’exercice de ses fonctions, suite à une altercation entre deux groupes respectivement, de la localité de « Grand Bouchi » et de celle de « Nan Sab ».[6] La victime a voulu faire une intervention en sa qualité d’autorité, selon ce qu’a rapporté le Maire de la commune, afin de résoudre ce conflit opposant des riverains de ces deux localités. Cet acte inhumain est occasionné par une question d’eau alors que le Maire de la commune de Tiburon a fait mention de causes profondes, une affaire d’argent. Les riverains de la localité de « Grand Bouchi » ont exigé leur part de cette misérable somme d’argent que le gouvernement central alloue aux collectivités territoriales dans le cadre de la lutte contre la pandémie (COVID-19) alors que cet argent n’était même pas encore décaissé par les collectivités territoriales.

C’est une situation préoccupante traduit certainement l’impuissance des élus de cette collectivité dans la mise en place effective du processus de la décentralisation en Haïti. Cet acte est l’expression du barbarisme face à un Etat, systématiquement, irresponsable. Donc, tenant compte de ces difficultés et contraintes de la plus petite collectivité territoriale qu’est la section communale, le développement local,  incluant la dynamique participative,  reste un défi pour cette politique décentralisatrice. Fort de ces constats, il semblerait que la décentralisation politico-administrative en Haïti n’est pas pour aujourd’hui.

Jean Robenson ST GOURDIN,
            Etudiant en Administration Publique à l’INAGHEI
            jrobensonstgourdin@gmail.com




[1] Constitution de 1987 amendée, Article 87-4
[2] Commission Nationale à la réforme Administrative (CNRA) de 1996 à 2002
[3]  Le décret du 1er février 2006, fixant le cadre général de la décentralisation
[4] L’Article 40, du décret 1er février 2006
[5] Bobb Rousseau, Ph.D. « La section communale dans le développement local », publié le 17 Novembre 2017.

[6]Port-au-Prince, le 6 avril 2020, le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales(MICT)

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