L’usage veut qu’on demande toujours les nouvelles de notre correspondant mais vous me voyez navrée d’y déroger, la situation étant déjà étrange, prendre de vos nouvelles ne fera que l’empirer. Voilà près d’un mois que nous sommes confinés, la plupart d’entre nous bien sûr car bon nombre ne peuvent être confinés à cause de la situation économique dégradante dans laquelle nous pataugeons sans oublier ceux-là qui refusent tout simplement d’être confinés croyant que la Covid-19 est un manège politique que ceux qui sont au timon des pouvoirs utilisent pour ravitailler les sommes allouées à l’appareil de la corruption qui fait rage chez nous… que Dieu nous en préserve, juste ciel !
Vous vous demandez certainement quel est le but de ce courrier ? Rassurez-vous, ce n’est ni une déclaration de guerre ni une invasion dans votre vie, d’autre en plus je n’aurais nullement ce droit dans la mesure où ma situation est précaire, voire désespérante. Je suis persuadée que vous n’êtes pas sans savoir que le confinement jusqu’à date ne génère que crises, parmi lesquelles on peut citer les crises alimentaire, économique, politique entre autres… outre ces crises, celle qu’on ne considère guère n’est autre que celle que toutes les maitresses doivent gérer en ce moment donc, l’absence de tout bon amant en cette période de confinement.
Malheureusement, mon nom ne fait que rallonger la liste, autrement dit j’en fais partie. Je suis donc de ces maîtresses que le confinement empêche de voir son amant comme bon lui semblait autrefois, sans mettre sa femme au parfum bien sûr. Et cet amant n’est autre que votre cher mari, je dis bien cher car je connais la valeur de la marchandise sans vouloir le considérer comme un bien, il vaut plus que cela à mes yeux. Si vous n’avez jamais entendu parler de moi, j’ose me présenter de façon officielle : « je suis la maitresse de votre mari » … Je ne tire aucune fierté à l’être car je ne me voyais jamais accepter de céder à cet instinct malsain. Qui aujourd’hui me place de l’autre côté de la table en étant la rivale d’une autre. La coutume voudrait que j’aie un statut matrimonial et qu’il soit mien, père de mes enfants. Mais la vie ou les décisions que j’ai prises ont décidé autrement:je suis celle qui aime le mari d’une autre, le père des enfants d’une autre. Détrompez-vous je ne veux pas vous mettre dans un triangle amoureux en vous mettant au parfum.
Vous vous demandez évidemment où je trouve les gouttes d’audace qui coulent dans mes veines pour oser vous écrire mais je vous le dis, il ne s’agit point d’audace. C’est le cri d’une maitresse qui languit après son amant qui résonne dans cette lettre, le cri d’un corps affamé des caresses de ce dernier. Ne vous demandez pas s’il me reste encore une once d’estime, je vous assure que mon estimation est à son sommet, sans vous paraitre aguicheuse, il est le carburant du moteur de ma démarche en ce sens qu’elle me pousse à vous faire front à travers cette correspondance pour implorer votre clémence…paradoxe. Ne croyez point que je me plais à briser votre ménage. je n’en tire aucun plaisir car qui n’aurait pas aimé avoir un compagnon pour les bonnes et les mauvaises nuits, ce que je ne pourrais avoir qu’un soir sur 10 étant donné qu’il les passe avec vous. Néanmoins, je reconnais que les instants passés avec lui constituent mon bonheur, un bonheur constitué d’un ensemble de moments magiques volés, des moments qui vous sont volés. Un bonheur éphémère aux yeux de plusieurs étant donné que la passion d’un amant est épisodique, elle balaye le quotidien, ses compromis, ses douceurs sont un peu fades comme l’a si bien dit Lori Saint-Martin dans "la lettre imaginaire à la femme de mon amant". Mais, il existe des gens comme moi, pour qui la raison ne trouve son écho s’il faut vivre un instant rempli de bonheur même en sachant qu’il s’agit du mari d’une autre.
Avant de continuer, je veux vous assurer que votre mari ne faisait pas qu’arroser le jardin d’hiver de mon antre, je ne le considérais point comme un gigolo, il représentait plus que cela, il était à la fois mon amant, mon ami et l’épaule sur lequel je déposais mes fardeaux. Et oui, les maitresses ont également des fardeaux sans faire référence qu’aux problèmes financiers, les fardeaux sont légions. Ceux-là qui crucifient les maîtresses sans les comprendre oublient qu’elles ont un cœur, un cœur qui certaines fois, les aller et venue dans son lit ne suffisent plus, sans avoir les yeux plus gros que le ventre et sans être plus royaliste que le roi. Je ne sais pas si vous avez déjà découvert le coté aguicheur de votre mari sinon je vous l’apprends, il est très aguicheur le plus grand qu’il m’ait été donné de connaitre. J’ai beau avoir connu des amants, desquels il se révèle le plus grand malgré tout. Ce serait trop agaçant de vous venter les talents de la virilité de votre mari, je suis sûre que vous en êtes consciente. Je ne vais point me mettre à débattre de la vie sexuelle qu’on partage avec vous car ce serait attiser le feu qui consume déjà. Vous vous demandez peut-être pourquoi maintenant, pourquoi me présenter à présent si j’ai toujours été incognito depuis des lustres. Je vous dirais que la frustration qu’engendre le fait de ne plus le voir, de ne plus le sentir en mon sein me fait dérailler. Oh ! Combien il m’est douloureux de ne plus voir un être aimé, ça vous étonne que je dise un être aimé ? J’ai aussi un cœur et ce cœur est amoureux de votre mari oui, follement amoureux sachant tout de même qu’il a déjà passé la bague au doigt d’une autre,vous en l’occurrence. Un cœur qui le réclame et qui, s’il ne lui restait pas une pincée de raison serait un soir à votre porte pour vous demander la permission de le voir rien qu’un instant. Rassurez-vous, jamais je n’aurais proposé un plan à trois.
Jamais je n’aurais le toupet ni le culot de vous demander de me comprendre encore moins l’audace de vous menacer en vous disant je veux votre mari, loin de moi l’idée d’un tel affront. Cependant, la peur que vous repreniez le contrôle m’empêche de dormir, la peur qu’il ne me revienne plus après le confinement me transperce l’âme et le cœur. La logique voudrait que je reste dans l’ombre sans me faire connaitre mais je crois que la même folie qui m’a poussé dans les bras de votre mari est la même qui me pousse à vous écrire une pareille lettre. Il ne m’a jamais caché votre existence, il est plus sincère que vous ne le pensez. Si vous n’étiez pas au courant de mon existence vous l’êtes à présent tout en sachant que je suis le fantôme qui désormais hantera votre relation. Je ne vais point vous demander de recevoir mes salutations les plus distinguées mais je vous dis, nous nous connaissons à présent à travers ces lignes. « JE SUIS LA MAITRESSE DE VOTRE MARI »
Signé : La maitresse de votre mari.
Kruny FRANCOIS,
Etudiante finissante en Sciences Juridiques à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Port-au-Prince (FDSE)